Passer par le Guatemala pour se rendre à Tracadie? Dans son dernier roman, Kathy Reichs a arrimé le destin du missionnaire Raoul Léger, tué dans la guerre civile au Guatemala en 1982, avec celui des lépreux de Tracadie. La semaine dernière, Kathy Reichs était de passage au Nouveau-Brunswick pour parler de Terreur à Tracadie et pour rencontrer ses nombreux lecteurs acadiens. La Presse l'a suivie dans son périple.

«Quand j'étais jeune, les gens parlaient tout bas de la lèpre. Maintenant, il y a des voyageurs de l'Australie et de l'Europe qui viennent ici pour visiter le musée de Tracadie. On n'a jamais eu un auteur international qui a mis le Nouveau-Brunswick dans une phrase», lance fièrement Andrea Léger.

 

Mme Léger nous a invités à manger de la poutine râpée. Et pour «bavasser, ricasser pis tout le reste». Dans sa cuisine de Moncton, nous faisons connaissance avec les membres de sa famille et avec ses invités d'honneur: l'auteure Kathy Reichs et son compagnon de vie, l'odontologiste Robert Dorion.

Un peu plus tard en après-midi, l'alter ego de Temperance Brennan rencontre le club de lecture du festival littéraire Frye et répond aux nombreuses questions sur la série télé Bones, sur son quotidien d'anthropologue judiciaire à Montréal, sur ses interventions au Rwanda ou au Guatemala... Devant une salle bondée de fans de ses livres et de la série télé, elle relate les événements qui lui ont inspiré le récit de Terreur à Tracadie.

Il y a d'abord eu ces ossements d'enfants trouvés sur le bord d'une autoroute près de Rimouski, qui dormaient dans une boîte de son bureau de Montréal. Encore fraîche à son esprit était aussi l'histoire de Raoul Léger. À la demande de la famille Léger, elle a pratiqué une autopsie sur ce missionnaire trouvé mort au Guatemala en 1982. «Andréa est un véritable pitbull. Elle m'a envoyé une centaine de courriels», raconte Kathy Reichs.

Les soeurs Léger ne connaissaient ni d'Ève ni d'Adam l'anthropologue judiciaire la plus célèbre au monde - ses romans sont publiés dans 35 pays - lorsqu'elles ont pris contact avec elle pour l'autopsie de Raoul Léger.

Reichs travaillait alors sur le site de Ground Zero et venait de compléter l'écriture de Bare Bones, dont l'intrigue tourne autour d'une fosse commune au Guatemala. Elle a accepté de faire l'autopsie de Raoul, exhumé 20 ans après sa mort dans la guerre civile guatémaltèque. Un événement qui lui a fait découvrir la générosité et la ténacité des Acadiens.

«C'est comme ça que j'ai décidé d'imaginer une histoire qui se passerait au Nouveau-Brunswick. Pour écrire, j'ai besoin de sentir l'air, l'atmosphère d'un lieu. J'ai pensé que la famille Léger serait une ressource formidable pour m'aider dans mes recherches», résume-t-elle, passant de l'anglais à un français très correct.

Le silence de la lèpre

Quelques années après l'autopsie, Kathy Reichs a donc repris contact avec les soeurs de Raoul Léger pour nourrir l'écriture de son 10e roman. En séjournant au Nouveau-Brunswick, Kathy Reichs a fouillé un pan méconnu de l'histoire acadienne: l'épidémie de lèpre qui a sévi pendant plus d'un siècle. «J'ai trouvé fascinant d'apprendre qu'il y a eu, à Tracadie, une léproserie qui a fermé ses portes en 1964», dit celle qui, dans son dernier roman, relate l'amitié d'enfance entre Tempe Brennan et deux soeurs acadiennes prénommées Évangéline et Obéline.

En compagnie de Kathy Reichs et des frangines acadiennes Andréa et Cléola Léger, nous retournons sur les lieux des recherches de Kathy Reichs et, bien sûr, d'une tragédie qui a longtemps été l'objet de douleur, de honte et de silence.

Au musée historique de Tracadie-Sheila, tenu par les soeurs hospitalières de Saint-Joseph qui ont soigné les lépreux pendant un siècle, la religieuse Zélica Daigle parle des visiteurs qu'elle rencontre, qui découvrent des années plus tard qu'une grand-mère ou un oncle ont été emportés par la lèpre.

«À Tracadie, l'histoire de la lèpre a toujours été cachée. La jeune génération découvre ça aujourd'hui et ça devient quelque chose du patrimoine. Il y a encore des gens qui sont réticents à dire que le grand-papa ou la grand-maman sont morts de la lèpre.»

Terreur à Tracadie révèle aussi que, jusqu'à récemment, on devait mentir sur le lieu d'origine des produits provenant de Tracadie-Sheila parce que la seule évocation de ce nom terrifiait les gens.

En visitant le musée, on apprend notamment que les soeurs hospitalières ont soigné des lépreux venus de partout au Canada et dans le monde. Et en marchant dans le cimetière - qui offre une vue imprenable sur la résidence d'un autre Acadien dévoué à vaincre une épidémie: le Dr Réjean Thomas - on reconnaît des noms acadiens, mais aussi des patronymes chinois, russes, islandais...

De retour sur les traces d'Évangéline et Obéline, Kathy Reichs a reçu un accueil royal de la population de Tracadie, lundi dernier. On lui a déroulé le tapis rouge à la mairie, au musée historique du lazaret et au club de curling, où les jeunes de la ville avaient organisé un souper-bénéfice en son honneur. C'est à croire que tous les citoyens de Tracadie avaient lu le livre, à voir tous ces gens qui voulaient se faire dédicacer leur exemplaire par Kathy Reichs. Une tâche dont l'auteure s'est acquittée avec une grande amabilité.

«Bien sûr, il y a eu la douleur des lépreux. Mais c'est incroyable, aussi, de se rendre compte des énormes sacrifices qu'ont faits les soeurs pour prendre soin des malades. Pendant que j'écrivais Terreur à Tracadie, cette idée n'a jamais quitté mon esprit. C'est incroyable de revenir ici et de voir à quel point cela les a rendus heureux que le monde apprenne leur histoire. C'est le deuil collectif d'une communauté, d'une histoire qui a été enterrée.»

En d'autres termes, la fiction a réconcilié un peuple avec son passé meurtri.

Terreur à Tracadie

Kathy Reichs

Traduit de l'américain par Viviane Mikhalkov

Robert Laffont, 380 pages


 

Cool, l'anthropologie judiciaire...

Invitée à parler de son travail d'anthropologie judiciaire et d'auteure de romans policiers à un club de lecture de jeunes de Moncton de 16 à 18 ans, Kathy Reichs a été bombardée de questions sur sa passionnante «double vie».

«En effet, la popularité des émissions comme CSI a créé un engouement pour mon métier chez les jeunes», confirme celle qui, depuis 1987, travaille pour le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale de la province de Québec, en plus de travailler fréquemment avec le FBI et le Pentagone.

Invitée d'honneur du Frye Festival de Moncton pour parler de son dernier roman, dont l'intrigue se déroule en Acadie, Reichs a bien sûr rencontré de nombreux fans de la série Bones (diffusée en anglais sur le réseau Fox et en français à Séries "), qui s'inspire des intrigues de Temperance Brennan.

Et à tous ceux qui lui ont demandé comment on peut devenir anthropologue judiciaire, Kathy Reichs n'avait qu'un conseil à donner. «Faites vos sciences pures. Étudiez la chimie, la biologie.»