Plus de 60 000 exemplaires des deux premiers tomes de la série Les accoucheuses ont été vendus au Québec depuis leur sortie. Ce qui n'est pas un mince exploit lorsque l'on estime qu'à 5000 exemplaires, on obtient un best-seller! Et c'est dire à quel point La déroute, dernier tome de la trilogie, était attendu. Notre collaborateur a rencontré Anne-Marie Sicotte au Salon du livre de l'Estrie, à Sherbrooke, où elle multipliait les dédicaces.

Qu'est-ce qui peut motiver quelqu'un à écrire 2500 pages sur les sages-femmes? «Au départ, il ne devait s'agir que d'un seul volume. Toutefois, au fil de l'écriture et de mes recherches, j'ai compris que je devais aller plus loin. J'en ai parlé à mon éditeur et il m'a fait confiance.» Alors, ce qui n'aurait pu être, en définitive, qu'une autre de ces nombreuses sagas familiales, s'est vite transformé en trois briques qui retracent, de façon minutieuse, l'histoire des femmes au milieu du XIXe siècle. Et ce, sans sombrer dans le prêchi-prêcha de certaines féministes. Un titre qu'elle revendique cependant fièrement.

 

«Je suis féministe, et mes personnages le sont», dit-elle. D'ailleurs, à ce sujet, on lui a quelques fois reproché le côté trop actuel de ses personnages. «C'est faux de croire qu'il n'y avait pas de femmes de caractère à l'époque. Il y a eu des femmes avant nous qui se sont battues pour tracer la voie.» Ce sont ces femmes-là qu'elle voulait mettre en évidence, à travers Flavie et sa lutte pour se tailler une place dans un monde dominé par les hommes. Celui de la médecine. Car, pourrait-on résumer, Les accoucheuses, c'est la lutte des femmes illustrée par la rivalité entre les sages-femmes et les médecins accoucheurs. Ces derniers en sortiront gagnants et cette victoire aura des conséquences déterminantes pour la condition féminine de l'époque, mais aussi après. «Des femmes médecins, il y en avait, même si ce n'était pas facile d'y arriver. C'est plus tard qu'on a tout perdu ce qu'on avait réussi à gagner.»

Puis, celle qui a étudié en histoire et qui, étonnamment, ne garde pas de très bons souvenirs de cette période, laissera la place à la femme et à la mère. «J'ai aussi beaucoup puisé dans mon propre patrimoine. J'ai trois enfants et j'avais le goût de témoigner.» Et c'est peut-être pour cela que tant de lectrices se reconnaissent dans les propos de l'auteure.

Elle jette un regard extrêmement lucide non seulement sur les femmes, mais également sur les différences engendrées par les classes sociales. Dans le bouquin, ça nous vaut parfois des scènes très dures. Des scènes d'accouchements à la limite du supportable, que ce soit physiquement ou psychologiquement. «Mais c'était comme ça que ça se passait. Comment croyez-vous que devaient se sentir les sages-femmes qui, après avoir accouché une jeune mère, étaient obligées de lui retirer son bébé sous prétexte qu'il avait été conçu en dehors du mariage... Qu'ensuite, elles devaient le remettre aux religieuses, sachant qu'il allait sûrement mourir dans quelques mois? Et s'il survivait, quelle vie allait-il avoir? Et puis, vous savez, j'aurais pu aller plus loin encore.»

Et c'est l'historienne qui reprend le discours. Tout ce que décrit Anne-Marie Sicotte, elle l'a trouvé dans les archives, une recherche qui, combinée à l'écriture, représente cinq années de travail. Et ça a porté fruit, puisqu'à ce jour, il s'est écoulé plus de 30 000 exemplaires de chacun des deux premiers tomes de «la saga à grand déploiement». Elle a maintenant quitté ses personnages, bien qu'on les soupçonne de vivre dans le voisinage, et elle se prépare à l'écriture d'une nouvelle épopée. Car, malgré la dureté du propos, et le travail colossal qu'il représente, jamais Anne-Marie Sicotte n'a trouvé difficile d'écrire Les accoucheuses. Au contraire. «Pas que je veuille paraître prétentieuse, mais pour moi, ç'a été un bonheur. Imaginez si ça s'était fait dans la douleur; cinq ans je n'aurais pas survécu!» Un accouchement sans douleur en quelque sorte.

Les accoucheuses La déroute

Anne-Marie-Sicotte

VLB éditeur, 864 pages, 29, 95$