Ce texte inédit fut écrit par Jacques Ferron à l'occasion de la soirée-hommage à Thériault organisée par VLB, son éditeur, en décembre 1981. Il nous a été proposé par la Société des amis de Jacques Ferron.

Fafineux, équivoque, apôtre du double jeu, j'aimais bien quand même laisser le médecin derrière moi, passer le pont et assister aux réunions de mes demi-confrères, les écrivains québécois. Ainsi avais-je rencontré un poète-éditeur qui, d'une voix écorchée, se plaignait de la mauvaise distribution du livre: c'était Gilles Vigneault qui n'avait pas encore chanté; et cet autre, superbe, parlant beau, qui dominait l'assemblée et tenait tête à un écrivain de France, invité: c'était Hubert Aquin qui n'avait pas encore publié un livre. Et il y avait Yves Thériault. Lui, il ne se cachait de rien, même il en rajoutait, fabuleux-fabulant, tantôt menacé de cécité, tantôt atteint du cancer: ce n'était pas des maladies, mais des contes auxquels il s'était laissé prendre pour mieux les vivre, pour mieux les dire. Il n'a jamais été un demi-écrivain en pied de grue sur son quant-à-soi, habile à se dérober. Au contraire, franc de collier, un forcené du métier. Une fois, lors d'une semaine du livre, il aurait voulu qu'on l'enfermât dans une cage de verre, à côté d'une petite imprimerie, au vu et au su des populations. Là, il aurait écrit un roman, aussitôt publié, et il en avait de trop d'une semaine, se réservant un jour ou deux, sorti de sa cage, pour le dédicacer à ses éventuels lecteurs.

 

Même si mes visées dans le monde des écrivains restaient de courte durée, à la longue elles m'ont apporté beaucoup. Aujourd'hui, je pense, tout bien considéré, que j'ai assisté à la mutation d'une littérature qui, s'arrachant au provincialisme français, s'affirmait sur place, sans le moindre détour, et tentait même de se lancer à l'assaut du monde. Y a-t-elle réussi? Il se peut que le pays incertain, vacillant, l'ait retenue dans son élan. En tout cas, il n'est pas évident, du moins pour le moment, qu'elle ait paru au grand jour dans un ciel plus vaste que le sien. Par contre, elle a investi toute la nuit, armée des ombres, littérature du crépuscule du soir.

Réjean Ducharme, détaché de sa comète, a établi sa demeure sur la face cachée de la lune, tandis que son protagoniste, l'homme à la cage de verre, Yves Thériault, en occupe toute la face visible.

Écrivain géant dans un pays qui n'a pas sa mesure, qui le mutilait et l'amoindrissait, il a réagi par la violence, toujours à se battre contre les puissances élémentaires, et peut-être l'aura-t-il agrandi ce pays. Il a réagi aussi par la ruse, multipliant les déguisements, les avatars, de l'Inuit ou du Montagnais primordial, jusqu'au juif de la rue Saint-Laurent, et peut-être l'aura-t-il diversifié ce petit pays simplet, en y faisant tenir son grand monde bigarré. Quel singulier défi que d'être Yves Thériault, défi depuis longtemps lancé, défi jusqu'ici relevé par Yves Thériault lui-même! Je lui rends hommage avec admiration et respect.

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Publié avec l'aimable autorisation de la Succession de Jacques Ferron.

Pour plus d'informations, consultez le site internet Jacques Ferron, écrivain.