Le livre, en particulier le livre québécois, est mis à mal par le gouvernement libéral de Philippe Couillard, croit Bryan Perro, auteur de la série Amos Daragon. Sans encadrement à court terme pour protéger les librairies agréées, l'écrivain craint un effritement de la culture québécoise au profit « du rouleau compresseur américain ».

« On ne peut pas dire qu'on a un gouvernement et un ministère de la Culture qui ont mis le livre au centre de leurs priorités », décoche sans appel M. Perro, en entrevue au Soleil.

L'année 2014 a selon lui été difficile sur la planète librairie. Fermetures et mauvaises nouvelles-voire absence de nouvelles-ont miné le moral des troupes qui militent pour plus de soutien de l'État.

« Je ne peux pas dire : dure année pour moi », nuance cependant l'écrivain, libraire et éditeur. Sa librairie de Shawinigan fonctionne bien, sa maison d'édition aussi. Mais tout ça pourrait changer si le gouvernement n'encadre pas l'industrie comme le réclame depuis deux ans l'Association des libraires du Québec (ALQ), dont M. Perro fait partie.

ABANDON DU PROJET DE PRIX UNIQUE DU LIVRE

Le premier coup dur a selon lui été l'abandon du projet de prix unique du livre. Un recommencement « à zéro » après des mois d'effort.

Selon M. Perro, l'ex-ministre de la Culture Maka Kotto avait « le soutien du milieu », qui est venu bien près d'obtenir gain de cause lors du court mandat péquiste. Le projet de loi n'a jamais été déposé avant la défaite du Parti québécois au printemps 2014, et les libéraux ont officiellement écarté l'idée dès leurs premières semaines au pouvoir.

Depuis, plus rien, déplore Bryan Perro.

La ministre de la Culture, Hélène David, devrait donner quelques réponses d'ici un mois. Son cabinet a confirmé tout juste avant les Fêtes qu'un plan de soutien aux librairies était sur le point d'être dévoilé.

Rien pour impressionner Bryan Perro, qui vocifère contre « une volonté dictatoriale de dire que [le prix unique], ce n'est pas bon le chemin », alors que la majorité des libraires « disent que c'est le bon chemin ». S'insurgeant de ne pas être entendu, M. Perro espère maintenant bien plus qu'une simple écoute de la ministre. « Je ne veux pas juste une oreille. Je veux deux bras, deux jambes et une tête. »

Dans l'état actuel des choses, M. Perro ne croit pas que de simples programmes de subvention puissent être un moyen durable de soutenir les librairies.

CONCURRENCER LES MAGASINS DE GRANDE SURFACE

Le prix unique du livre permettrait selon lui aux libraires d'être sur la même ligne de départ que les magasins de grande surface, comme Walmart ou Costco. « Ensuite, que le meilleur gagne. » Il dénonce notamment les promotions trop « agressives » de certains géants du commerce de détail. « J'ai eu des dictionnaires ici [à ma librairie], cite-t-il en exemple. Costco les vendait à perte. Pourquoi? Pour amener du monde. On ne peut pas [se battre] contre ça. »

Au-delà des profits et des colonnes de chiffres, M. Perro croit que le gouvernement devrait cesser de considérer le livre comme une marchandise comme les autres. « Le livre, c'est un produit d'exception, culturel, qui mérite un traitement exceptionnel », tranche-t-il.

Ayant lui-même vendu « à la pelle » ses exemplaires d'Amos Daragon dans les Costco de ce monde, il dit comprendre la manne que peuvent représenter les grandes surfaces pour les auteurs.

Mais il constate qu'une fois que certains livres ne sont plus « la tendance » du mois, ils ne sont plus mis de l'avant, et il faut se tourner vers les libraires pour les trouver. « Si on veut acheter un Amos Daragon [aujourd'hui], on va voir des gens qui tiennent un bon fond. » « Quand ces fonds-là disparaissent [lorsqu'une librairie ferme]. On n'a plus accès à notre culture. C'est ça, l'enjeu véritable. On n'est pas un peuple qui peut appauvrir sa culture. Sinon, on perd du terrain sur le rouleau compresseur américain. »