Les écrivains américains se félicitent dans l'ensemble de la victoire de Barack Obama, non seulement parce qu'il est le premier Noir élu à la Maison-Blanche et que leurs préférences politiques vont traditionnellement plutôt aux démocrates, mais aussi parce qu'ils le considèrent à certains égards comme un des leurs: un penseur et un homme qui sait manier les mots.

L'hiver dernier, Toni Morrison a reçu un coup de téléphone du sénateur Barack Obama, alors considéré comme un outsider dans une course des primaires, dont Hillary Clinton était alors la grande favorite. Obama avait contacté la romancière pour solliciter son soutien.Mais avant de parler politique lors de cette conversation, l'auteure et le candidat ont d'abord discuté littérature. «Il a commencé à me parler d'un des livres que j'ai écrit, Le chant de Salomon, et de son importance pour lui», a souligné Morrison dans une entrevue réalisée après les élections. «J'avais lu son premier livre (Les rêves de mon père). J'ai été étonnée de sa capacité à écrire, à penser, à réfléchir, (...) à formuler une bonne tournure. J'étais très impressionnée. Ce n'était pas une biographie politique normale.»

La romancière Jane Smiley, lauréate du prix Pulitzer, se dit convaincue que Barack Obama a écrit lui-même le discours de victoire qu'il a prononcé mardi soir à Chicago, «et donc qu'il disait des choses auxquelles il croyait vraiment». «Je trouve cela plus convaincant chez un homme politique», que l'habitude consistant à lire des discours écrits par d'autres, dit-elle. «S'il devait nous mentir, il se trahirait vraiment au plus profond de lui-même.»

«Jusqu'ici mon identité d'écrivain n'a jamais empiété sur mon identité d'Américain», explique de son côté Jonathan Safran Foer. «Mais le fait d'avoir un écrivain-président - et je ne veux pas dire par là un auteur publié mais quelqu'un qui connaît toute la valeur d'un mot soigneusement choisi - j'ai soudain le sentiment pour la première fois d'être non seulement un écrivain qui se trouve être américain, mais aussi un écrivain américain.»

Les rêves de mon père et l'autre livre d'Obama L'audace de l'espoir se sont vendus à des millions d'exemplaires et ont été salués comme quelques-unes des rares oeuvres émanant d'hommes politiques qui peuvent être lues simplement pour le plaisir.

Les poèmes écrits par Obama lorsqu'il était étudiant ont également suscité des commentaires élogieux de l'éminent critique littéraire Harold Bloom. Ils ont été comparés aux oeuvres du poète Langston Hugues (1902-1967).

Toni Morrison, dont le roman A Mercy sort la semaine prochaine, a apporté son soutien à Obama en janvier bien qu'elle soit une amie et admiratrice d'Hillary Clinton. Comme si elle faisait la critique d'un nouveau livre, la romancière a publié un communiqué dans lequel elle évoque «l'intelligence, l'intégrité et la rare authenticité» d'Obama, ainsi que son «imagination créative qui, combinée à son brio, confine à la sagesse».

Morrison va jusqu'à se demander comment certains de ses défunts amis auraient réagi, comme l'écrivain noir James Baldwin, qui dans les années 60 avait récusé la prédiction de Robert Kennedy selon laquelle un Africain-Américain serait élu à la Maison-Blanche 40 ans plus tard.

La romancière Ayelet Waldman est une fan d'Obama depuis le temps où ils étudiaient tous les deux à Harvard. Son mari, l'écrivain Michael Chabon, a de son côté soutenu le candidat démocrate après avoir été séduit par «son écriture, la qualité de sa prose», précise Waldman. Le couple a également convaincu l'écrivain et ancien partisan d'Hillary Clinton Rick Moody de soutenir le sénateur de l'Illinois.

Moody explique avoir commencé à voir en Obama un auteur capable de trouver les mots justes quand il a entendu un de ses discours. «Mais, ajoute-t-il, il y a plus largement une question culturelle. Ici aux États-Unis, on a pu sentir durant les années Bush le peu de considération qu'il y avait» pour l'art. «On peut raisonnablement penser que nous allons connaître une période bien meilleure.»