Le passé de l'écrivain Milan Kundera a été mis en cause lundi par la publication d'un rapport de la police communiste tchécoslovaque relatant qu'il avait dénoncé un jeune déserteur quand il était étudiant à Prague en 1950.

Le célébrissime auteur de L'insoutenable légèreté de l'être, aujourd'hui âgé de 79 ans, est sorti de longues années de silence vis à vis de la presse pour apporter un démenti catégorique à ce qu'il a qualifié de «purs mensonges».Le très officiel Institut tchèque d'études des régimes totalitaires (USTR) a publié lundi un rapport de police faisant état d'une déposition spontanée de Kundera datant du 14 mars 1950 à propos de la présence à Prague de Miroslav Dvoracek, un de ses compatriotes qui fut ensuite arrêté et condamné à 22 ans de prison.

Le fac-similé du procès verbal 624/1950 de l'OVNB (Commandement d'arrondissement de la sécurité nationale) de Prague a été mis en ligne sur le site (www.ustrcr.cz) de cet institut créé en 2007 pour faire la lumière sur l'Histoire de l'ancien pays communiste à partir des archives du Ministère de l'Intérieur et de la police secrète.

«Je conteste de la manière la plus forte ces accusations qui sont de purs mensonges», a écrit l'écrivain dans un bref communiqué transmis à Paris par sa maison d'édition française, Gallimard.

«Je suis totalement pris au dépourvu par cette chose à laquelle je ne m'attendais pas du tout, de laquelle je ne savais rien hier encore, et qui n'a pas eu lieu», a-t-il par ailleurs déclaré à l'agence tchèque CTK.

La découverte par les historiens tchèques de ce document sur lequel figure son nom constitue un «mystère», a dit l'écrivain qui vit en France depuis 1975. «Ma mémoire ne peut pas me tromper, je n'étais pas au service de la police secrète», a-t-il assuré.

Le procès verbal 624/1950 de l'OVNB l'identifie pourtant sans équivoque: «aujourd'hui vers 16 heures, un étudiant, Milan Kundera, né le 1er avril 1929 à Brno, résidant à Prague VII, Cité universitaire, rue Roi George VI, s'est présenté dans ce département et a rapporté qu'une étudiante, Iva Militka, (...) avait rencontré (...) un certain Miroslav Dvoracek qu'elle connaissait».

«Après consultation de la liste des personnes recherchées, il a été constaté que ce dernier était sous mandat d'arrestation (...). Sur la base de cette information, les organes cités ci-dessus sont restés dans la cité universitaire pour surveiller la chambre de ladite Militka. Vers 20 heures, Dvoracek s'est effectivement rendu dans cette chambre et a été arrêté», selon le rapport.

Alors âgé de 21 ans, Dvoracek avait déserté et fui en Allemagne après une purge menée par les communistes à l'Académie militaire où il préparait son brevet de pilote, selon l'Institut USTR.

A Munich, il avait accepté de coopérer avec une branche du contre-espionnage américain et de rentrer en mission secrète dans son pays natal, raison pour laquelle il se trouvait à Prague en mars 1950.

Envoyé en prison puis en camp de travail forcé dans une mine d'uranium, comme beaucoup de prisonniers politiques à l'époque communiste, Dvoracek a été relâché 14 ans plus tard, en 1963.

Kundera venait de publier son premier livre, Risibles amours qui contribua à le faire connaître avant l'immense succès de La Plaisanterie (1967), roman qui raconte l'histoire d'un étudiant pragois trahi par un de ses amis.

Aujourd'hui âgé de 80 ans, Dvoracek vit en Suède où il a été récemment diminué par une crise cardiaque. «Il sait qu'il a été dénoncé, alors maintenant, savoir qui l'a fait, cela ne fait aucune différence pour lui», a déclaré à l'AFP son épouse, Marketa Dvoracek Novak.

Après avoir été un communiste convaincu, Milan Kundera s'est positionné dans les rangs réformateurs dans les années 60. Toute activité publique lui a été interdite après l'écrasement du Printemps de Prague, en août 1968, ce qui l'avait conduit à choisir l'exil en 1975.