Bien des gens ont un passe-temps pour se changer les idées quand le travail est trop intense. La metteure en scène Brigitte Haentjens s'est plutôt trouvé un «remplit-temps»: au cours des trois dernières années, entre deux mises en scène, elle se changeait les idées en écrivant ce qui allait devenir Blanchie, «récit troué» lancé en mai. Brigitte Haentjens a poussé la chose jusqu'à faire de cet étrange «loisir» solitaire un répit collectif puisqu'elle lira en public Blanchie mardi dans le cadre du Festival international de la littérature.

«Ah là là, ça me gêne, de le lire, ce texte, s'exclame Brigitte Haentjens dans un petit café chaleureux du boulevard Saint-Laurent. Ce n'est pas autobiographique du tout -je n'ai pas de jeune frère mort dans un accident de moto- mais c'est pourtant très intime. Et il y a certaines phrases -non, pas les plus érotiques- que je suis incapable de lire sans me mettre à rougir!» Et le rire de Brigitte Haentjens s'élève au-dessus de sa tasse d'allongé, confrontée à ses propres contradictions.

 

«Quand j'ai commencé à écrire ce texte à la campagne, explique-t-elle, il m'a été impossible de le situer ailleurs... qu'à Paris. C'était contre ma volonté, et c'est un peu chiant, tout de même: ça fait cliché, et je le sais. Mais c'est sans doute le seul point en commun que j'ai avec la femme de Blanchie: j'ai été une Parisienne indécrottable ne supportant pas un centimètre de gazon!»

Brigitte Haentjens ne devrait pas s'inquiéter: Paris, tout comme Berlin, l'Andalousie et Montréal, sont en retrait, dans ce récit limpide, incisif, direct, où l'importance réside plutôt dans le deuil, la perte de repères, l'exil (deuxième point commun entre l'héroïne et sa génitrice), les images qui nourrissent le vide (troisième point commun, la metteure en scène faisant elle aussi de la photo), la violence sexuelle, la dépression -et la réalisation qu'il faut quatre saisons pour accepter de survivre à certaines morts.

Autre contradiction? Un récit écrit au «je», même s'il ne relate pas un épisode de la vie personnelle de la metteure en scène, alors même que cette façon de faire a été au coeur de mille discussions qu'elle a eues avec son ami le dramaturge Jean-Marc Dalpé, «Jean-Marc qui est absolument contre le je» !

«Mais je n'y arrivais pas autrement, reprend-elle. Je voulais travailler sur l'absence de métaphores, que tout le texte soit vu comme autant de photos, d'instantanés qui auraient été écrits plutôt que pris à la caméra. Le thème de ce livre, c'est peut-être le deuil, mais c'est aussi l'abus: quand on se laisse envahir par d'autres, par des événements, des circonstances. Et quand on s'en sort. Le titre du récit, Blanchie, est à prendre dans tous les sens: la femme du livre est effacée, lavée, renouvelée, pardonnée...»

Pour illustrer l'ouvrage, Brigitte Haentjens avait fait appel aux photos de son ami Angelo Barsetti, photographe, concepteur visuel et maquilleur fameux de Montréal. Pour la lecture-spectacle de Blanchie, les photos d'Angelo Barsetti seront encore de la partie, de même que la musique de Joseph Marchand (collaborateur clé d'Ariane Moffatt, de Carole Facal, etc.) et une gestuelle proposée par la danseuse Suzanne Trépanier: «Ce n'est pas évident, ce qu'on peut faire, un livre à la main, explique Brigitte Haentjens. Mais ces petites choses que sont un geste ou un son vont servir de fil au texte.» Et Brigitte Haentjens de répéter qu'il ne s'agit pas là d'un récit autobiographique, histoire que personne n'aille lui présenter ses condoléances. «Mais tout cela reste tout de même un mystère, dit-elle. Après qu'elle ait lu le livre, ma soeur m'a appelée d'Europe, assez bouleversée, et m'a demandé: Tu te rends compte que nos deux frères font de la moto?»

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Blanchie, de et avec Brigitte Haentjens, mardi 20h30 à la Cinquième salle de la Place des Arts, lecture-spectacle suivie d'une rencontre avec l'auteure.