Marie et Laurent s'aiment et ont l'avenir devant eux. Jusqu'au jour où Marie est agressée sauvagement dans un stationnement. Un viol qui changera la trajectoire de cette vie remplie de promesses. Avec Le malheur du bas, Inès Bayard signe un roman très dur qui raconte l'impact d'un viol sur la vie d'une femme. Il s'agit d'un premier livre pour cette jeune femme de 26 ans dont le nom a figuré sur la première liste des finalistes au prix Goncourt (il ne s'y trouvait plus sur la deuxième, dévoilée mardi dernier). Nous l'avons jointe en Allemagne, où elle réside.

Comment est née l'idée d'écrire une histoire autour d'un viol?

Au départ, avant même d'écrire ce livre, mon premier projet était de travailler sur le corps de la femme. Le problème, c'est que je ne savais pas exactement comment l'aborder. J'ai commencé ma documentation en essayant de récolter quelques témoignages, mais je n'arrivais pas à trouver l'angle d'approche pour un roman. Et puis, au milieu de la première phase de documentation est arrivé le mouvement #metoo. Et là, j'ai réussi à avoir accès à différents témoignages qui étaient extrêmement poignants, très différents de ce que les femmes disaient avant ce mouvement, des témoignages qui étaient centrés sur le corps. J'ai donc décidé de prendre comme base le viol d'une femme pour ensuite avoir le moyen de parler du corps.

Pourquoi vouloir parler du corps des femmes?

C'est un thème qui revenait souvent dans les livres que j'ai lus ces dernières années, des lectures allemandes et autrichiennes, et c'est un sujet qui m'a toujours beaucoup intéressée.

La scène du viol est particulièrement brutale. Est-ce qu'elle a été difficile à écrire?

C'est peut-être un peu étrange de dire ça, mais je traite la scène de viol de la même manière que je traiterais une scène de repas. Pour moi, c'est la même chose. Il y a un détachement qui se fait à l'écriture, dans l'exigence que l'on met dans la grammaire, l'orthographe, les tournures de phrases. Quand on écrit, même s'il s'agit d'une scène ultra-violente, on reste concentré sur l'écriture. D'une certaine façon, mon esprit se détache un peu de la scène pour que j'aie une réflexion honnête sur celle-ci. Je pense que c'est justement en ajoutant du sentiment qu'on tombe facilement dans le pathos. Il faut arriver à écrire les scènes les plus violentes sans perdre sa concentration.

La scène de viol est écrite au présent. Pourquoi ce choix?

Le choix du présent est essentiel dans la narration parce que cela actualise la position du corps dans le récit. Si j'avais décidé de faire un récit au passé ou d'avoir un passage qui raconte le viol, cela aurait été différent. La violence du viol et de toutes les conséquences aurait été altérée par cette vision passée. Évidemment, je ne suis pas contre l'utilisation du passé en général, c'est un outil très intéressant, mais pour ce récit, j'ai choisi le présent pour que le corps soit actualisé à l'intérieur de la narration. Et pour que le lecteur puisse comprendre immédiatement la violence du texte. Si on écrit au passé, il y a tout de suite une altération du texte qui fait qu'il ne suit pas la position du personnage.

Vous avez déjà dit qu'avec ce livre, vous vouliez faire comprendre la manière dont fonctionne le corps féminin. De quelle manière?

Mon personnage passe par plusieurs phases: elle se fait violer, elle tombe enceinte, ensuite on revient dans son adolescence et on comprend que c'était aussi une petite fille secrète et que pendant la période des règles, elle a quand même eu un sentiment de honte. Bref, on passe par toutes les phases de la vie de cette femme, et c'est une manière pour moi de faire comprendre le fonctionnement du corps d'une femme dans certaines situations. Je ne dis pas que j'ai fait une autopsie de toutes les phases - il y aurait tellement de choses à dire qu'il faudrait presque tout un livre sur ça. Je me suis attachée au fonctionnement du corps dans un contexte de violences sexuelles, d'une grossesse qui ne se passe pas comme on l'imagine, puis des rapports à la sexualité dans le couple, des rapports au médical, du regard de la société sur le corps des femmes... En m'intéressant à toutes ces étapes, je replace le corps au centre de la société. Ce n'est pas un livre éducatif, il n'y a pas de souci d'instruire et il n'y a pas, non plus, de morale à la fin.

Il s'agit de votre premier roman et il a connu un accueil très positif ainsi qu'une sélection au prix Goncourt. Comment réagissez-vous à ce succès?

J'ai écrit ce livre en ne sachant pas si j'allais être publiée parce que c'est un livre que j'ai envoyé par la poste à des éditeurs. Ça enlève l'angoisse de ne pas savoir s'il va être lu. Finalement, j'ai eu la réponse d'un éditeur trois semaines plus tard. C'est une belle histoire qui nous rappelle que les manuscrits sont lus dans les maisons d'édition. Je suis très satisfaite de la réception du livre. Après, le prix, c'est autre chose, c'est en dehors de l'écriture. La manière dont les gens vont percevoir un livre étonne toujours.

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Le malheur du bas. Inès Bayard. Albin Michel.

Image fournie par Albin Michel

Le malheur du bas, d'Inès Bayard