Le sixième roman d'Edem Awumey cherche une femme et découvre l'Afrique d'aujourd'hui. Belle et tourmentée, forte et attaquée. Mina parmi les ombres est un tableau aux couleurs saturées où, pourtant, le noir et blanc l'emporte. Tels des crocs luisants dans la nuit.

Mina parmi les ombres est un roman d'amour. Impossible comme tous les amours. Mais vécu, vaincu aussi, dur parfois. C'est une quête et une enquête qui font du narrateur et du lecteur des témoins de la réalité africaine d'aujourd'hui.

«On perd ses repères quand on y retourne, confesse Edem Awumey. Je suis allé au Mali un an avant que les islamistes ne tombent sur Tombouctou. On passait des nuits à discuter à la belle étoile et on n'avait pas peur. Ces lieux-là font peur maintenant.»

Dans le livre, Kérim est un photographe qui retourne au pays pour retrouver son grand amour, Mina, disparue parmi les ombres. Il trouve une société qui a changé, comme lui d'ailleurs, ce qui lui fait peu à peu comprendre que le temps de l'amour est probablement passé. 

Violence et souffrance il y a. Mais Mina, c'est la survie. Malgré tout, suggère Edem Awumey, il reste bon de continuer à célébrer la vie.

«Il ne faut pas rester figé sur les images de violence et ces visages voilés ou pas. Le père de Kérim lui dit de photographier la vie. Un visage reste une énigme. C'est dans le mouvement des gens qu'on peut saisir ce qu'ils sont vraiment. Et mes personnages vivent et résistent.» 

Ombres

Les absents ont toujours tort, mais il serait difficile de trouver une absente, Mina, qui aurait davantage raison qu'elle dans ce pays innommé, peut-être même innommable, tant les choses y vont mal. 

Un pays où l'on ne sait d'où vient le poignard, mais où tout le monde est frappé à un moment ou un autre. Kérim se rappelle le meilleur avec cette femme rebelle et fière. Il imagine le pire à propos d'où elle est ou a été depuis leur dernière fois ensemble. 

Edem Awumey a fait sienne l'idée de Samuel Beckett selon laquelle une fois dans la merde jusqu'au cou, il ne reste qu'à rigoler.

«Dans ma langue, on dit qu'on ne peut pas souffrir de deux maux. La souffrance est là, mais ce n'est pas une raison d'arrêter.»

Rire et rêver, en fait. L'imaginaire du romancier rappelle celui du Colombien Gabriel García Márquez et du Congolais Sony Labou Tansi. 

«J'étais très jeune quand je les ai lus. J'y ai compris comment, au coeur de la parenthèse tropicale, les gens arrivent à vivre et survivre. La vie nous est donnée, il faut la vivre.»

L'écrivain d'origine togolaise vit à Aylmer depuis près de 14 ans, mais l'Afrique l'habitera toujours. Dans ce roman, les mythes et légendes se mêlent à la réalité, se confondent dans le récit et les dialogues. 

«Je récupère une part de mythologie, mais j'en invente aussi. Que reste-t-il des mythologies noires? Il y a eu des royaumes africains. C'est resté cantonné à l'histoire, mais les ramener grâce à la littérature leur donne une raison d'être. Je suis devenu écrivain pour ça.»

Spiritualité

Même si les missionnaires ont tenté d'effacer cette richesse culturelle à coups d'«il n'y a qu'un seul dieu», certaines croyances se sont rendues jusqu'à nous grâce à la littérature. Et ce, malgré les autres extrémistes qui tentent maintenant de s'emparer de l'Afrique. 

«On parle beaucoup de la démission de l'Église catholique chez nous, décrit le romancier. Le génocide du Rwanda a eu lieu en 1994. C'est un des pays les plus chrétiens d'Afrique. Et pourtant. Un million d'enfants du Christ qui se sont charcutés en deux mois. La perte de confiance en l'Église a causé une désaffection.»

La montée de l'intégrisme vient donc remplir un vide, un «désert existentiel», dit l'écrivain. Les gens se disent: si on ne peut pas aller bosser, on va aller prier en attendant. 

«Pendant des milliers d'années avant la colonisation, il y avait une spiritualité dans nos pays. C'est une richesse.» Avec la fiction, le romancier tente de la faire revivre parce que «les religions devraient être capables de cohabiter», souligne-t-il. 

Écriture dynamique, suspense sans cesse ravivé, Mina parmi les ombres procède d'un style unique parmi nos écrivains. 

«Un style, explique-t-il, rempli d'odeurs, de bruits, de chants. Le Canada a une odeur juste pendant l'été. En Afrique, l'odeur est permanente. J'apprécie le calme canadien, mais je suis habité par tous ces bruits et ces odeurs. La distance m'aide à écrire. Après avoir quitté l'Afrique, je l'ai mieux comprise.»

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Mina parmi les ombres. Edem Awumey. Boréal. 360 pages.