Montréal a inspiré à Sabrina Calvo son neuvième roman, Toxoplasma. Un Montréal pris en otage entre rêveurs indépendantistes et armée fédérale. Une ville futuriste, multiethnique et multigenre, drôle et tragique, au diapason d'une auteure surprenante.

Sabrina Calvo vit de sa plume. Enfin, c'est David qui a commencé à écrire il y a 20 ans, mais c'est Sabrina qui a pris le relais. Dans le même corps. Sabrina Calvo possède cette faculté de se promener facilement entre les genres, littéraires et sexuels. Elle a trouvé à Montréal un pied-à-terre ouvert, tolérant.

«Après la Manif pour tous en France en 2012, j'ai eu besoin de changer d'air et j'ai eu l'occasion de travailler pour une succursale de mon studio de jeu vidéo à Montréal. J'avais envie du Québec depuis longtemps, j'étais venue plusieurs fois, et chaque fois, je m'étais promis de m'y faire un nid.»

Un nid qui prend racine dans la littérature et le territoire québécois avec une véritable passion. Son prochain roman partira encore de Montréal.

«Je suis très attachée à l'imaginaire et à la poésie du Québec. La première poète que j'ai lue, Geneviève Desrosiers, m'a bouleversée. La langue québécoise est très vivante, elle permet toute l'imagination, contrairement à la langue française qui est très architecturée, figée sur ses principes. J'ai trouvé dans la langue québécoise une vie qui m'a ouvert les vannes. Il y a aussi le territoire.»

«Je ressens au Québec cet enracinement dans une nature de rêve. L'imaginaire est lié à la nature, et moi, j'explore la féerie depuis toujours.»

Cyberpunk

Toxoplasma décrit une commune montréalaise assiégée par l'armée fédérale. Trois jeunes femmes Nikki, Kim et Mai, tentent d'en sortir, au sens propre comme au sens figuré. Figuré, surtout, puisque le roman mêle science-fiction et poésie, fantastique et burlesque pour nous faire croire à une certaine utopie, malgré la morosité ambiante.

«La science-fiction qui m'intéresse, c'est celle qui est très proche de nous. Je suis une grande lectrice de cyberpunk, des auteurs comme William Gibson et Bruce Sterling. Une vague très contemporaine, anarchiste et contestataire. Pour moi, l'humour, c'est fondamental. Je fais de la comédie. Je n'y peux rien. L'humour permet de mettre en équilibre les choses. Si un chien se met à parler, ce n'est pas le chien qui m'intéresse, mais ce que ça provoque chez l'humain, comme émotion ou problématique morale.»

Dans Toxoplasma, une chaussette devient un personnage vivant. Dans son prochain roman, c'est la neige poudreuse qui prendra vie. 

«Ce qui m'intéresse, c'est ce qui se passe dans la tête de quelqu'un qui se transforme en neige. Il y a toujours chez moi un dégagement de la conscience. La conscience humaine s'étend et embrasse le fantastique d'une manière ou d'une autre.»

Sabrina Calvo ne veut pas faire de sa vie personnelle une plateforme morale ou politique, mais elle s'inscrit clairement dans une mouvance identitaire ouverte.

«Je suis une personne transgenre. Pour moi, c'est une catégorie en tant que telle. Je veux que les gens comprennent ma trajectoire. Dans Toxoplasma, il y a ce propos transféministe. Dans le prochain, ce sera encore plus important. Quand j'écris, je dis que je fais du "transgenre" aussi. Je mélange un peu tout. Ce qui m'excite, c'est l'imagination, le merveilleux. Pour moi, c'est de la poésie. J'aime la porosité entre l'esprit, la nature et la technologie.»

Espoir

Son style d'écriture unique lui permet de passer du réel à l'imaginaire constamment, une esthétique mouvante qui place les mots d'argot «meuf» et le «ché pâ» québécois dans la même phrase. Une pensée profonde, mais légère aussi, basée sur l'espoir.

«J'ai tendance à être optimiste, ce qui m'éloigne des racines du cyberpunk. Il y a un futur et c'est à nous de le construire. Personnellement, je désespère de ce qui se passe autour de nous dans le monde, mais si on n'y croit plus, c'est foutu. Mon rôle, c'est plutôt de voir comment on va s'en sortir.» 

«Au cinéma et à la télé, je trouve qu'on ne rêve plus. En littérature, c'est toujours possible. Je crois à la texture de l'invisible.»

Dans ce qui est visible au Québec, elle est d'avis que le «Je me souviens» des plaques d'immatriculation veut surtout dire une chose fondamentale: «Les Québécois, dit-elle, se souviennent qu'ils parlent français.» Un Québec qui pourrait devenir indépendant, mais pas au prix de sa réalité multiethnique et sexuelle. 

«Libérer l'identité, c'est une manière de laisser les gens s'exprimer et de permettre d'accommoder la société à toutes ces différences, plutôt que de faire entrer tout le monde dans le moule. Je pense que les êtres humains n'ont pas d'identité fixe. On est tous et toutes très multiples. C'est important d'accepter nos paradoxes et contradictions. C'est ce qui nous fait douter. Le doute nous fait éviter des bêtises. Ce sont les certitudes qui nous en font commettre.»

Ce dont elle ne doute pas, par contre, c'est de son envie d'un Québec qui la fait encore rêver. 

«J'aime rêver en bois, en eau, en neige. C'est ma dignité, cette texture de la nature qu'on peut encore toucher. Quand je suis au Québec, c'est ce que je ressens. Mais j'essaie quand même de me tenir loin de l'appropriation culturelle. La nature appartient à tout le monde. Je vais continuer à l'explorer dans mon travail.»

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Toxoplasma. Sabrina Calvo (David Calvo). La Volte. 374 pages.

image fournie par La Volte

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