Katherine Pancol était de passage à Montréal en avril dernier pour faire la promotion de son dernier roman, Trois baisers (Albin Michel). La même semaine, Dominique Demers lançait le dernier titre de sa série Mademoiselle Charlotte, Une infirmière du tonnerre (Dominique et compagnie). Nous avons décidé d'organiser une rencontre entre les deux auteures. Elles ne se connaissaient pas, mais au fil de la conversation, elles ont découvert qu'elles avaient plusieurs points en commun. Dont celui d'être toutes deux ambassadrices de la lecture auprès des enfants. Entretien croisé.

Qu'est-ce qui vous a emmenée à l'écriture?

Katherine Pancol: Moi, c'est parce qu'on me l'a demandé. J'étais journaliste à Cosmopolitan et, un jour, l'éditeur Robert Laffont m'a dit: «J'adore la manière dont vous écrivez vos articles, j'aimerais que vous m'écriviez un roman.» Je n'avais jamais imaginé écrire un livre. Un article, ce n'est pas très compliqué, mais un livre! Ça veut dire rester enfermé longtemps et moi, à l'époque, je voulais sortir tous les soirs [rires] et m'amuser. J'ai résisté six mois puis j'ai dit: «OK, je vais vous faire 15 pages et puis vous allez voir que je ne peux pas.»

Il a lu ce que j'avais écrit et m'a dit: «Je vous signe un contrat tout de suite!» Contrat que je n'ai pas signé parce que je voulais rester libre. C'est drôle les choses qu'on fait spontanément sans même réfléchir. J'étais si jeune. Et puis, finalement, j'ai rencontré Romain Gary et je lui ai donné mon manuscrit et je lui ai dit: «Tu me dis si c'est bien.» Honnêtement, je m'en foutais à l'époque. Ce n'est pas de la coquetterie. Moi, je voulais voyager, pas écrire. Il ne m'a pas dit «c'est génial», il m'a dit: «Non, ça va, je vais te faire une lettre de recommandation chez Grasset.» Du coup, j'ai totalement oublié Robert Laffont... Je pensais en vendre 3000 et ce serait fini après, mais j'en ai vendu 300 000! J'avais 25 ans.

Dominique Demers: Moi, je suis née en Ontario dans un tout petit village francophone dans une mer anglophone. Je n'ai jamais rêvé d'être écrivaine, car cela aurait été tellement présomptueux. Et puis dans ma tête, un écrivain, ce n'était pas seulement quelqu'un d'immense, c'était quelqu'un de mort [rires]. Je me suis retrouvée à Montréal parce que je voulais aller à l'université francophone et devenir journaliste.

Tout en écrivant à L'actualité, j'avais commencé des chroniques sur la littérature jeunesse dans Le Devoir. Et un jour, moi aussi, un éditeur m'a appelée. Bernard Pivot venait de faire paraître La bibliothèque idéale et on m'a proposé de publier La bibliothèque idéale de Dominique Demers en littérature jeunesse. Ici, je dois faire une parenthèse... Vous parliez de Robert Laffont tout à l'heure. J'ai été publiée chez Robert Laffont en France. Et je suis allée dîner chez lui quelques années avant qu'on le perde. Il m'avait même donné des conseils.

Katherine Pancol: Ah, c'était un homme formidable!

Dominique Demers: Oui, j'en garde un excellent souvenir... Donc le premier livre que j'ai publié portait sur la littérature jeunesse. Je ne voulais pas écrire pour les enfants, car j'avais lu des livres pourris et je ne voulais pas en rajouter. Mais, un jour, je me suis retrouvée au chalet avec mes enfants, il pleuvait et je n'avais rien à leur lire. Alors je leur ai raconté une histoire. Ils m'ont dit: «Tu devrais l'écrire.» Je l'ai envoyée sous un faux nom, mais l'éditeur a aimé, et c'est ainsi que tout a commencé.

Katherine Pancol: Après un succès, comment écrire le deuxième? Si je suis honnête, je dois dire que j'ai écrit mon deuxième livre pour payer les impôts du premier [rires]. J'avais tout dépensé, je faisais la fête. Mon éditeur m'a appelé et m'a dit: «On te paie tes impôts si tu nous écris un deuxième livre.» C'est comme ça que j'ai été forcée à écrire. Mais ce n'est pas avant le quatrième que je me suis dit «c'est sympa, écrire». Et c'est au cinquième que je me suis dit: «Ah oui, je vais faire ça dans la vie.» Mais c'est quand même une vie dure, écrire. On est tout le temps enfermé, il y a plein de choses qu'on ne peut pas faire, on est obsédés par nos personnages qui habitent dans notre tête. On y pense tout le temps.

Dominique Demers: Je crois que je ressentirais la même chose si je n'écrivais QUE pour les adultes. Les livres pour enfants sont moins accaparants. Mais oui, l'écriture prend toute la place. Je vais vous raconter une histoire: un jour, je suis allée interviewer une soeur cloîtrée. Elle était dans l'État de New York, une petite communauté de soeurs italiennes. J'avais envie d'avoir un personnage de cloîtrée dans mon roman et soeur Élizabeth avait eu l'autorisation de me parler. Je lui ai demandé: vous ne vous ennuyez pas? Pas de bruit, pas de monde, le silence, pas de verre de vin? Elle était très souriante et m'a répondu: «On est tellement habitées et pleines de Sa présence, c'est comme un don de soi. Il faut renoncer à des choses mais en même temps, on est emplies d'une présence tellement grande qu'on n'entend pas le silence autour de nous.» Et j'ai découvert au fil des ans que c'était ça, écrire.

Katherine Pancol: Ah oui, c'est sûr! Il y a quelque chose de mystique dans l'écriture. Il m'est arrivé d'inventer des choses qui arrivaient après et ça, c'est quand même très troublant. C'est comme si on était un tuyau creux, on a une disponibilité. C'est là que ça rejoint la religieuse que tu as rencontrée.

Dominique Demers: L'importance de l'étonnement...

Katherine Pancol: L'étonnement, c'est l'émerveillement et l'émerveillement, c'est l'enthousiasme, et l'étymologie d'enthousiasme, c'est du grec enthousiasmós qui signifie la présence de Dieu...

Comment revenez-vous sur terre après?

Katherine Pancol: Ah ça, c'est ce qu'il y a de plus difficile. Je me souviens quand j'écrivais Les hommes cruels ne courent pas les rues, il y avait une scène où l'héroïne partait dans un truc sexuel très bizarre dans une chambre d'hôtel louche, avec un mec louche. J'étais plongée dans l'écriture de ma scène quand ma fille d'un an et demi qui apprenait à marcher a poussé la porte de mon bureau et a dit «maman?» Je me suis retournée, je l'ai vue et j'ai coupé l'ordinateur. Je m'en souviens encore, c'était un des pires jours de ma vie parce que je me suis demandée: mais tu es qui, toi? Es-tu cette fille qui vient d'écrire cette scène où tu es la maman de Charlotte? On ne sait plus où on est. Quand les enfants étaient petits, j'arrêtais de travailler trois quarts d'heure avant qu'ils reviennent de l'école pour me donner le temps de redescendre sur terre.

Dominique Demers: Moi, j'ai l'impression d'avoir été déchirée pendant 15 ans. J'étais amoureuse de mes enfants, j'en voulais même un quatrième, mais quand j'étais avec eux, je m'ennuyais de l'écriture, et vice versa. Un peu comme les expatriés qui s'ennuient toujours, où qu'ils soient. Et l'énergie que ça demande! Je descendais l'escalier de mon bureau quand la dame qui gardait les enfants quittait, vers 16 h. J'étais contente de voir les enfants, mais face à leur énergie, je me sentais un peu vide et coupable. Mais finalement, on la retrouve, l'énergie.

Vaut-il mieux vivre seule, alors, si on veut se consacrer à l'écriture?

Katherine Pancol: Vaste sujet [rires]. Il faut tomber sur un homme qui assume sa masculinité ET sa féminité, un mec qui est 100 % mec, ça ne marche pas.

Dominique Demers: Il faut des couples exceptionnels pour que ça fonctionne. Je me suis aperçue que les hommes de ma vie ont été jaloux. Pas de mon succès, mais de mon bonheur. Parce que j'avais un travail qui était comme un amoureux que j'avais hâte de rejoindre, dont je m'ennuyais et qui me satisfaisait pleinement à certains moments. Ils étaient jaloux de mon écriture. Actuellement, je suis seule, mais quand j'ai rencontré des hommes, je leur ai dit: «Tu vas voir, ça va t'achaler.» Ils me répondaient: «ben non», mais ça finissait toujours par les déranger. Il faut des gens qui soient très contents de leur vie.

Katherine Pancol: Exactement! Ils doivent être bien dans leur peau.

Katherine Pancol, pour la première fois, vous allez écrire des livres pour enfants?

Katherine Pancol: Oui, et c'est un très beau projet, c'est Alexandre Jardin qui a mis sur pied une association qui s'appelle Lire et faire lire...

Dominique Demers: Mais oui, je connais, je suis marraine de cette association!

Katherine Pancol: Ah oui? Moi aussi! Je suis marraine en France [rires]. Trop drôle! Alors il y a un projet avec McDonald's qui a demandé à Alexandre Jardin d'écrire des livres pour enfants qui sont tirés à 1 million d'exemplaires chaque mois et offerts avec les «Happy Meals». L'enfant a le choix entre un jouet et un livre. Au début, les jeunes prenaient toujours le jouet, mais maintenant, ils choisissent le livre à 60 %. L'an dernier, c'est Marc Lévy qui en a écrit et moi, je me suis engagée pour 2019. J'adorais raconter des histoires à mes enfants, mais je n'en ai jamais écrit. Là, je vais être obligée de passer à l'action. J'en ai écrit deux déjà. Je me glisse dans la peau des enfants - j'écris pour les 4 à 7 ans - et j'adore.

Dominique Demers: Ahhh! Je suis vraiment jalouse de vos moyens. Un million! On n'a pas suffisamment d'enfants ici... On travaille à plus petite échelle.

Et après toutes ces années, la passion d'écrire est toujours là?

Dominique Demers: Parfois, l'insécurité est terrible.

Katherine Pancol: Oui, il y a toujours cette peur de ne pas y arriver.

Dominique Demers: Il y a deux mots-clés qui résument ça: humilité et foi.

L'humilité de toujours se dire: est-ce que j'y vais à fond la caisse, suis-je allée jusqu'au bout, est-ce que j'ai été respectueuse de mes personnages, ou est-ce que je suis allée dans la facilité? Et il faut la foi, il faut croire. Je me suis aperçue, quand j'ai eu un cancer...

Katherine Pancol: Moi aussi, j'ai eu un cancer...

Dominique Demers: Ah oui? Moi, c'est un cancer du sein, toi?

Katherine Pancol: L'utérus.

Dominique Demers: Ah, ce sont des cancers-frères... [sourires] Depuis ce cancer, quand j'hésite sur un projet, je me demande toujours: si tu apprenais qu'il te reste un an ou deux à vivre, est-ce que tu terminerais ce livre ou tu t'occuperais d'autre chose? C'est le test. Il faut que la réponse soit positive si je veux continuer.

Katherine Pancol: Moi, en tout cas, s'il me reste six mois à vivre, je pars pour le Costa Rica, car j'ai toujours voulu y aller. Je ne m'enferme pas dans une pièce à écrire. Je fais tous les trucs que je n'ai pas eu le temps de faire.

Pourriez-vous vivre sans écrire?

Katherine Pancol: Non.

Dominique Demers: Ah, je le savais! [rires]

Katherine Pancol: Écrire et vivre, c'est pareil...

_____________________________________________________________________________

* Les 2 et 3 juin, dans le cadre de la campagne Lire pour emmieuter le monde lancée par l'auteure Dominique Demers, Les éditions Dominique et compagnie vont mettre en vente 20 000 exemplaires de l'album L'été de la petite baleine de Dominique Demers, illustré par Gabrielle Grimard, au prix symbolique de 1 $.