Après un recueil de poésie, July Giguère a écrit un touchant premier roman, Et nous ne parlerons plus d'hier, sur un homme qui fuit et une jeune femme qui se cherche. Le père et sa fille.

July Giguère a vécu une enfance vagabonde avec des parents qui ne tenaient pas en place. Une jeunesse aux mille découvertes inspirant son premier roman, Et nous ne parlerons plus d'hier. La poète romancière dit avoir envie de réel, mais pas, pour autant, d'autofiction.

«Je sens qu'il y a un besoin, chez certains écrivains de ma génération, de s'ancrer dans le réel, de partir d'une expérience, plus humble, personnelle, intime, puisque le mouvement social nous en éloigne.»

La jeune femme, qui enseigne aussi au cégep de Sherbrooke, ne pratique pas l'art du divertissement ni ne projette un cinéma irréel. 

«Comme lectrice, j'ai une préférence pour les oeuvres où je sens qu'il y a quelque chose de lié à l'expérience réelle de l'écrivain. Ma sensibilité me porte plus vers ces textes où il y a une authenticité de l'expérience, c'est la même chose quand j'écris. En ce moment, on vit un peu dans une dictature de la fiction pure.»

L'élégance de son écriture, son approche de l'intime et ses élans poétiques caractérisent, toutefois, Et nous ne parlerons pas d'hier.

«Quand je dis rester près du réel, ça veut dire de trouver une façon de ne pas le trahir. C'est par l'écriture que ça passe. Si on raconte le réel tel quel, on va le trahir. Si on essaie de traduire une vérité que l'on sent, ça passe par le langage, la poésie pour moi. J'essaie de ne pas trahir l'expérience ou la complexité des choses.»

La forme s'impose

Pour son recueil de poésie (Rouge presque noire, Hexagone) et son roman, l'autrice affirme que la forme s'est imposée d'elle-même.

«Pour mon roman, j'ai commencé à écrire, et c'est un récit qui est venu. Ça m'a prise par surprise. J'avais plus en tête d'écrire un autre recueil. J'ai continué en suivant les deux personnages qui sont arrivés involontairement. Sans faire de plan.»

«J'écris mon roman en poète. Je retravaille beaucoup mes phrases. C'est les mots et le rythme du texte qui me guident. Je ne sais pas ce qui va arriver aux personnages.»

En allant vers la vérité du récit et des personnages, elle avoue qu'une distance nécessaire se crée avec sa propre vie. 

«L'écriture donne la distance qui nous autorise à ne pas rester parfaitement fidèle aux événements ou sur soi. Le point de départ et le point d'arrivée, pour moi, c'est le réel. Entre les deux, je cherche le chemin pour trouver un réel qui m'intéresse, dans toute sa complexité, qui part de moi, mais qui n'a pas pour but de raconter ma vie.»

Père, fille

Et nous ne parlerons plus d'hier décrit les routes séparées d'un père et de sa fille. Un père qui a fui sa famille, sa fille qui cherche à retrouver le bonheur perdu. Mais les deux resteront irréconciliables. Un roman au «je» et au «tu».

«Il y a une forme d'échec pour elle puisqu'elle cherche une révélation. Je savais que j'allais vers ça, mais j'ignorais si j'allais révéler les causes de la distance entre le père et la fille. Je ne voulais pas faire du personnage masculin une figure uniquement négative.»

La sensibilité du personnage féminin et de son autrice est palpable dans la voix et le regard émouvants de July Giguère. 

«C'est à la fois difficile pour elle d'être près et loin de son père. C'est ce que je trouvais intéressant: le deuil de ne pas avoir pu aimer totalement ce père. C'est la zone d'ombre que je voulais explorer.»

«Comme écrit l'auteure américaine Kathryn Harrison: "On dit toujours que les parents aiment inconditionnellement les enfants, mais c'est le contraire parce que les enfants n'ont pas le choix."»

Le père a été un enfant maltraité qui a quitté très jeune la ferme familiale en Beauce. Il fera le tour du monde.

«Pour accepter la distance entre eux, elle tente de le rejoindre dans la fiction, de le retrouver et le connaître parce qu'elle doit s'en éloigner. Elle raconte et lui invente une histoire. Sa quête, c'est de sauver l'innocence de son père.» 

Projets

July Giguère réussit habilement à nous faire sentir le vertige de la réalité. Pas un mot ne dépasse ou ne manque. 

«Je suis attirée par les romanciers poètes. Je me pensais incapable d'écrire un roman parce que j'ai plus l'imagination des acteurs. Il y a les romanciers qui inventent et ceux qui se mettent à la place des autres. J'ai aimé, dans le roman, le fait d'accompagner un être. Le rapport aux personnages m'a profondément plu. Dans l'écriture, je veux être, comme écrit Yvon Rivard, témoin de quelque chose pour le sauvegarder. Avec des personnages, je peux sauver quelque chose d'un être.»

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Et nous ne parlerons plus d'hier. July Giguère. Leméac, 157 pages.

PHOTO FOURNIE PAR LEMÉAC

Et nous ne parlerons plus d'hier, de July Giguère