Cinquante ans après les faits, Tahar Ben Jelloun raconte dans La punition l'épreuve qu'il a subie dans les années 60 avec 93 autres jeunes Marocains, emprisonnés un an et demi dans une caserne pour avoir participé à une manifestation pacifique. Un livre pour ne pas oublier et pour répondre à ses détracteurs.

Le 23 mars 1965, Tahar Ben Jelloun, alors étudiant en philosophie, participe à Rabat à une manifestation réprimée dans le sang par la police d'Hassan II qui n'hésite pas à tirer sur les manifestants. On n'a jamais su exactement combien de personnes y ont laissé leur peau.

Le soir même, il se rend à une réunion de l'Union nationale des étudiants du Maroc. Mise au courant, la police dissout l'assemblée et prend les noms des participants. Un an et demi plus tard, 94 étudiants sont intimés de se rendre à la caserne El Hajeb, où Tahar Ben Jelloun restera emprisonné du 17 juillet 1966 au 28 janvier 1968.

La punition replonge dans des années noires du Maroc. La monarchie a alors des airs de dictature. «Cela a changé avec le nouveau roi, dit Tahar Ben Jelloun, joint à Paris. Le plus paradoxal est qu'Hassan II a fait confiance à son armée qui a tenté deux fois de le renverser.»

Le récit raconte les travaux forcés, les brimades, la violence des gardiens, l'alimentation frelatée, pendant cette incarcération déguisée en service militaire. 

«Le plus choquant, c'était l'arbitraire. Il n'y avait pas de justice. Je m'accrochais à ma mémoire et à mes lectures passées. J'écrivais en cachette.»

Tahar Ben Jelloun a mis longtemps avant de se décider à relater cette histoire. «Des gens qui ne lisent pas mes livres, surtout au Maroc, sont très critiques à mon égard, me reprochant plein de faussetés, notamment que j'étais un soutien indéfectible d'Hassan II. J'en avais marre, je ne répondais pas, mais un de mes enfants m'a dit que je devrais raconter ce que j'ai vécu.»

L'écrivain de 70 ans se défend d'avoir été complaisant envers la monarchie marocaine. Il raconte qu'après qu'il a reçu le Goncourt en 1987 pour La nuit sacrée, Hassan II a envoyé son conseiller André Azoulay à Paris pour le rencontrer. «Il m'a proposé de devenir ministre de la Culture et de la Communication. J'ai refusé. André m'a dit: "On ne dit pas non à Sa Majesté!" J'ai répondu que, contrairement à lui, je n'étais pas payé pour dire oui au roi.»

L'écrivain dit que s'il ne parle pas de politique marocaine dans ses romans, cela ne l'empêche pas d'évoquer les conditions sociales. «Mon troisième roman, Moha le fou, Moha le sage, s'ouvre sur de la torture dans une prison marocaine. Ça découlait de ce que m'avait raconté un ami torturé. J'ai toujours critiqué la société marocaine, mais sans nommer le roi ou les généraux. Je n'ai jamais critiqué Hassan II dans la presse parce que j'avais mes parents malades au Maroc et n'avais aucune envie de me retrouver exilé ou de ne plus pouvoir m'y rendre.»

Avec La punition, Tahar Ben Jelloun a voulu raconter aux Marocains une page d'histoire de leur pays. «Pour qu'ils comparent, alors qu'ils ont une liberté que je n'avais pas, dit-il. Aujourd'hui, il n'y a pas de prisonnier politique au Maroc, sauf si on considère que les terroristes en sont.»

La punition a été bien reçu au Maroc, dit-il. «J'ai fait plusieurs entrevues à la radio et à la télé. J'ai envoyé le livre au roi Mohammed VI qui m'a écrit pour me remercier.»

Le Maroc a-t-il présenté des excuses aux 94 étudiants? «Non, mais il y a eu l'instance Équité et Réconciliation mise sur pied en 2004 par le roi pour écouter et indemniser les gens torturés ou qui ont perdu un fils», dit-il.

Tahar Ben Jelloun croit que la punition n'a pas été vaine. Elle a été suivie par la création du Mouvement du 23 mars qui a par la suite modifié la carte politique du pays. Elle l'a aussi mis sur la voie de l'écriture. «De là est parti mon désir d'écrire, dit-il. Alors que ma vocation était d'enseigner la philosophie.»

L'épisode a eu une autre conséquence. L'armée a «tué» le sommeil de Tahar Ben Jelloun qui souffre, depuis 50 ans, d'insomnie. D'ailleurs, L'insomnie est le titre du roman «drôle et comique» qu'il est en train d'écrire sur l'histoire d'un homme qui ne peut dormir... que s'il tue quelqu'un. «J'espère que, quand j'aurai terminé, je l'aurai vaincue, cette insomnie!», s'exclame l'écrivain.

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La punition. Tahar Ben Jelloun. Éditions Gallimard. 160 pages.

image fournie par Éditions Gallimard

La punition