Lyon, c'est la capitale gastronomique, le petit Paris, disent certains, la ville des inventeurs du cinématographe, les frères Lumière, dans un pays qui a donné naissance au siècle des Lumières. Mais c'est aussi une grande cité urbaine dans un État qui fait comprendre aux étrangers qu'ils ne sont plus les bienvenus, qu'ils soient québécois ou roms. Entrevue avec une écrivaine, Mélikah Abdelmoumen, qui en est bien revenue de la France.

Après 12 ans en France, vous êtes revenue au Québec depuis 7 mois, mais votre livre est né à Lyon?

J'ai commencé à écrire en décembre 2012. J'avais commencé par un statut Facebook qui disait «Fuck Noël» qui parlait surtout de la pauvreté que vivaient certains à ce temps-là de l'année. C'est devenu un blogue et un journaliste en a parlé à la radio, ce qui m'a fait connaître. J'ai rencontré des chercheurs qui s'intéressaient aux Roms et ça m'a donné l'idée du livre. Ça allait tellement mal là-bas que j'écrivais aussi sur mon immigration en France et sur l'état d'urgence en raison des attentats terroristes. Je me suis dit que ces deux projets pouvaient se fondre en un livre.

Vous avez vécu là-bas tous les attentats des dernières années?

Oui, sauf le dernier d'il y a quelques jours. La France est encore en émoi. Ils en parlent en boucle aux infos. Manuel Valls est sorti des boules à mites pour dire «tous ces sales étrangers». C'est toujours le même refrain qui est hyper anxiogène. Je suis contente de ne plus y être.

Votre engagement envers les Roms qui vivent dans des bidonvilles est apparu comme une bouée de sauvetage pour vous?

Oui. C'est enrageant de voir qu'on laisse faire ça. Le discours gouvernemental sur les immigrés est insupportable. Le ministre de l'Intérieur actuel est Gérard Collomb qui, lorsqu'il était maire de Lyon, faisait la chasse aux Roms. J'avais plusieurs amis immigrés là-bas, mais j'étais la seule «Arabe» ou, comme disait Sarkozy, la seule «d'apparence musulmane». Tout ça m'a épuisée. Avec le livre, je ne dis pas que le Québec est parfait et la France, terrible. Je voulais juste montrer l'autre côté de la médaille, en tant qu'immigrée. Je n'étais pas la plus mal prise non plus. Je ne fais que poser des questions sur nos manières de recevoir les gens.

On a de la difficulté à croire qu'à Lyon, ville culturelle entre toutes, il existe une telle exclusion comme celle que connaît Viorica [nom changé pour le récit] qui est devenue une amie?

Oui, mais il y a aussi des tonnes de gens, de toutes origines et orientations politiques, qui se battent pour eux. L'organisme Habitat et Humanisme lui a trouvé un appartement où elle vit toujours. Mais c'est mon point de vue à moi. Mon livre n'est pas un essai, mais un récit de ce que j'ai vécu.

Comme bénévole, il n'aurait pas été plus sage de ne pas se lier d'amitié avec les personnes auxquelles on vient en aide?

Il y a une militante âgée qui disait: «Mélikah a fait un truc que personne n'a réussi. À force d'amour, elle a sorti des gens de la rue.» Mais ce n'est pas moi. On était plusieurs à les aider, sauf que je les ai aidés quand personne ne le faisait. J'aime Viorica et ses enfants. C'était instinctif. Je ne pouvais faire autrement. Quand tu rencontres des gens dans des bidonvilles, quelque chose se passe. C'était comme une fraternité instantanée. J'avais besoin de cette qualité de rapports humains là. Mais ce n'était pas censé arriver parce que la France est un pays très hiérarchisé. J'y ai vu des enfants dormir dans des voitures que le directeur d'école laissait entrer tôt le matin afin qu'ils prennent une douche et se lavent les dents.

Comment fait-on pour aider une famille alors que tant d'autres autour n'ont rien?

C'est impossible d'aider tout le monde. On est cinq ou six dans un bidonville où vivent 200 personnes. C'est horrible. Ils déménageaient souvent. Quand Viorica et sa famille vivaient sous un viaduc d'autoroute, je pense que c'est la pire chose que j'ai vue dans ma vie. Mais quand j'étais avec eux, j'oubliais complètement mes problèmes.

Malgré tout, vous êtes revenue avec votre famille?

Je n'en pouvais plus d'être l'immigrée en France à gueule d'Arabe. La France est un pays que j'aime. Il m'a fait grandir grâce aux gens que j'y ai connus, mais il m'a usée à cause du climat politique et de ce que cela fait à ceux qui sont minoritaires et fragiles. La France a déjà été un pays accueillant, mais aujourd'hui, l'État te fait sentir qu'il ne veut pas de toi.

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Douze ans en France. Mélikah Abdelmoumen. VLB éditeur. 224 pages.

Image fournie par VLB éditeur

Douze ans en France