L'humoriste, animatrice et metteure en scène Marie-Lise Pilote publie son premier livre, Tout bas ou à voix haute, un recueil de courts textes personnels abordant différents thèmes comme le féminisme. Discussion franche sur la place des femmes en humour avec une pionnière.

Ton livre propose un regard féminin sur différents thèmes. C'est sûr que je ne suis pas le public cible, mais je me suis reconnu quand tu écris que tu t'étonnes d'entendre des femmes dire qu'elles ne sont pas féministes. Qui ne veut pas de l'égalité entre les sexes?

J'en vois plein à la télé et dans les journaux. J'en entends plein à la radio. Il y a beaucoup de femmes qui voient le terme « féminisme » comme péjoratif. Je ne peux pas comprendre ça, que les femmes ne soient pas toutes féministes. Il y avait un reportage cette semaine à la télé dans lequel on parlait de l'évolution de la cause des femmes, de la place qu'elles ont prise, et il y avait une femme qui valorisait le fait de rester à la maison. C'est justement ça, être féministe, c'est d'avoir le choix!

De pouvoir décider pour soi...

Je n'ai absolument rien contre les femmes qui veulent rester à la maison, se faire vivre par leur mari et se sentir bien là-dedans. Il n'y en a pas, de problème, si elles l'ont choisi. Mais je ne comprends pas les femmes qui ont des places de pouvoir et qui sont incapables d'assumer ce terme-là.

Il y en a certainement qui, par la force des choses, ont intégré des comportements masculins ou machistes et qui préfèrent être one of the boys.

T'as pas le choix! Quand j'ai commencé dans le Groupe sanguin, mon Dieu que j'aurais trouvé ça plus facile d'être un gars! J'aurais pu coucher avec Dany... (rires) C'est toujours comme ça. En ce moment, je suis dans le C.A. du Grand Montréal comédie fest et je suis encore avec une gang de gars. Quand ils me parlent, c'est encore beaucoup pour dire: «Oui, oui, il va y en avoir, des filles!» C'est une ambiance qui n'est pas évidente d'être toujours la seule femme dans un groupe d'hommes. Je trouve ça dur. Autant j'ai pu baigner longtemps dans un milieu d'hommes, autant j'ai pu être rough moi aussi. Tu n'as pas le choix.

Pour faire ta place?

Oui. Je regarde Mariana [Mazza] qui leur fesse dedans. J'étais comme ça, moi aussi, au début! Quand j'ai commencé, il fallait que je fasse ma place et que je tasse les autres. Mais à un moment donné, tu te rends compte qu'il y a autre chose. Quand ton horloge biologique clignote, quand t'as envie d'être en amour, tu te rends compte que si tu veux plaire aux hommes, à moins d'être aux femmes, il y a une certaine féminité qu'il faut que tu dégages. Il y a une transformation qui s'opère en vieillissant. Tu te rends compte que les discussions des boys...

Que tu les as entendues souvent?

Et que tu ne les trouves plus drôles! Une fille qui ne rit plus des jokes des gars, c'est plate pour les gars! Ça fait que tu ne fais plus partie de la game.

Tu étais dans le boys' club et maintenant, tu les observes avec plus de recul?

Je n'en ai plus envie. À partir du moment où j'ai commencé à côtoyer des femmes, je me suis découverte. J'ai laissé aller d'autres facettes de moi que je ne connaissais pas. La Marie-Lise vulnérable, il ne fallait pas trop que je la laisse paraître avec les gars, sinon je me faisais... tuer! (rires) C'est plus avec les femmes que je me suis permis ça. Ceux qui disent que les femmes, c'est toujours en train de se bitcher...

C'est un gros cliché. Ce n'est pas ce que tu as vécu...

Ce n'est pas du tout ce que j'ai vécu, même si ça existe aussi. Dans le milieu du spectacle et du théâtre, il y a beaucoup d'ego. Ce n'est pas une histoire d'hommes ou de femmes. J'apprends beaucoup des femmes. Je me reconnais en elles.

Tu as commencé à faire de l'humour dès la moitié des années 80. Quand tu regardes l'évolution des femmes dans le milieu de l'humour, tu constates que les choses n'ont pas bougé tant que ça?

Pas tant que ça. C'est la télé qui a fait bouger les choses. Avec Like-moi ! et Les Appendices, on a découvert des jeunes femmes qui sont drôles, qui ont de la drive et qui amènent quelque chose de différent. Mariana aussi a amené quelque chose de complètement différent et c'est important, la place qu'elle prend. C'est une image de fille forte qui dit ce qu'elle pense et c'est intéressant. Il faut qu'il y ait plusieurs modèles. Mais on n'est pas encore rendus à l'égalité. Je suis depuis quatre ans la marraine des Femmelettes. Connais-tu les Femmelettes?

Non...

C'est ça. Elles existent depuis quatre ans. Elles font des cabarets-laboratoires une fois par mois, à l'Espace La Risée, avec de nouveaux numéros chaque fois. Depuis plus longtemps que Le Bordel. Elles sont audacieuses comme ça ne se peut pas. La particularité, c'est que c'est juste des femmes sur scène. Ces filles-là font un best-of chaque année. Elles invitent des journalistes, et il n'y a personne qui y va! Ce sont des filles et elles ne passent pas à la télé. Je trouve ça dur pour la relève féminine. On dit souvent quand on annonce des spectacles: «Il va y avoir des femmes et de la relève!» Quand on pense à la relève, on pense aux gars. Les jeunes femmes qui passent à la télé, comme Kat Levac, vendent leurs billets super bien. Mais elles ne sont pas conscientes qu'il n'y a pas encore d'égalité pour tous. Et que c'est très dur pour les femmes de la relève qui ne sont pas connues. Tu connais Josiane Aubuchon?

Non...

Retiens ce nom-là. Elle fait lever les salles. J'ai rarement vu quelqu'un avec autant de répartie. Je ne comprends pas que, depuis toutes les années qu'elle fait des auditions à Juste pour rire, elle n'ait jamais été choisie. Moi, j'ai de l'expérience en humour. J'en ai fait pendant longtemps. Je suis capable de voir que des humoristes gars qui passent parfois à la télé se font clencher par Josiane. Elle s'est payé un show elle-même à La Risée, elle a invité je ne sais pas combien de producteurs, et il n'y en a pas un estifi qui s'est déplacé!

Les préjugés persistent sur l'humour féminin? Tu écris dans ton livre que les journalistes te demandent depuis toujours si c'est plus dur pour une femme de faire rire...

J'ai dû me la faire poser 500 fois ! Je ne fais plus d'entrevues. Je ne suis pas en show ni à la télé. Je suis passée date... Les préjugés persistent de moins en moins. Heureusement, les femmes qui sont plus connues apportent une visibilité et démontrent qu'elles sont aussi bonnes que les hommes. Mais quand tu baignes dans un show où il y a juste des hommes, il y a un ton qui est installé, il y a un rythme, un style. Il faut comme femme que tu parles le même langage. Sinon, quand tu arrives avec une proposition différente, ce n'est pas sûr que ça va être bien vu.

De t'impliquer dans le nouveau festival, d'être à son C.A., c'est une façon de t'assurer qu'il y ait une place pour ces jeunes femmes humoristes moins connues?

C'était mon but dès le départ. Les gars sont très ouverts à ça. Souvent, on se rappelle pourquoi on fait ce festival-là. Quelle a été la bougie d'allumage qui a fait que ce nouveau festival est né ? Il faut qu'il y ait une mémoire de ça.

As-tu été surprise par le scandale entourant Gilbert Rozon?

Non. Je n'ai rien de plus à dire que ce qui a été dit. Tout a été dit. Je ne me suis jamais sentie à l'aise à Juste pour rire. J'ai fait mon deuxième show dans cette boîte-là. Probablement celui avec lequel j'ai fait le plus d'argent. Mais je suis partie parce que je n'étais pas capable de vivre avec cette aura-là. Je sens beaucoup les choses et les gens. Et je ne sentais pas que cette boîte-là était aimée. J'avais une gêne de dire que j'étais avec Juste pour rire, alors je ne suis pas restée. Alors, non, je ne suis pas surprise.

Tout bas ou à voix haute. Marie-Lise Pilote. Éditions La Presse. 248 pages.

Photo Éditions La Presse

Tout bas ou à voix haute