Dans son premier livre remarquablement bien construit, qui était en lice pour le Grand Prix du livre de Montréal et se retrouve sur  la liste préliminaire du Prix des libraires 2018, Stéfanie Clermont interroge ce qui donne vraiment envie de vivre. Une écriture précise et un regard acéré qu'il faudra suivre dans les prochaines années.

La force de l'outsider

Stéfanie Clermont, 29 ans, franco-ontarienne, est un peu une outsider du milieu littéraire, dont la vie éclatée semble à l'image de son premier livre. Elle n'a pas étudié en littérature, a voyagé un peu partout aux États-Unis et au Canada, est passée par toutes sortes de boulots, avant de se poser à Montréal en 2012, en pleine crise étudiante. Ce qu'il y a d'évident lorsqu'on lui parle, c'est qu'elle est habitée par la «bibitte de l'écriture», comme elle le dit, elle qui noircit ses cahiers intimes depuis l'enfance. Après être passée longtemps par le doute et le sentiment d'imposture, elle publie enfin, et c'est tant mieux pour nous. «C'est certainement le moment le plus important de ma vie», confie-t-elle.

«Ça m'a pris du temps avant de trouver le vrai plaisir de l'écriture, et je dois dire que c'est le plus gros high. Je ne pense qu'à trouver le temps d'écrire le deuxième.»

L'amour du fragment

Le jeu de la musique, c'est une trentaine de nouvelles disposées de façon tellement organique qu'on a l'impression de lire un roman. Il faut dire que tous les personnages appartiennent au même groupe d'amis, et nous les saisissons à divers moments de leur vie, pas forcément les plus glorieux. Dépression, peine d'amour, peur de l'échec, vide existentiel, petites et grandes humiliations, violence envers les femmes, précarité sont le lot de cette bande d'amis qui prennent chacun leur tour - surtout chacune, le féminin l'emporte sur le masculin ici - le micro dans ces nouvelles où alternent les points de vue. C'est tellement juste, tellement sensible comme écriture, qu'on s'identifie et se prend d'affection pour les Sabrina, Céline, Zoé, Julie, Jess, Vincent, Estella, etc., en ayant l'impression de faire partie de la gang. Stéfanie Clermont est une admiratrice des nouvellistes et adore l'écriture en fragment, citant parmi ses auteures préférées les Annie Ernaux, Agota Kristof, Alice Munro, Christine Angot, Lydia Davis, Susan Sontag, Maggie Nelson et Joan Didion. Elle a manifestement appris des plus grandes.

Rêves en suspens et gueule de bois

Les personnages du Jeu de la musique sont des survivants. Du suicide de Vincent, qui ouvre le recueil, celui qui gagne le jeu de la musique mais pas celui de la vie. Ce sont aussi pour la plupart des marginaux dont on comprend qu'ils ont tout mis dans leurs idéaux et qui connaissent les lendemains difficiles des militants déçus. Des orphelins de beaucoup de choses. «Ce qui les a rassemblés, c'est la politique, mais aucune nouvelle ne se passe pendant les moments forts de leurs parcours», explique Stéfanie Clermont. 

«On comprend à travers leurs discussions qu'ils ont eu des moments d'extase, qu'ils n'avaient pas besoin alors de penser à l'avenir en termes individuels, qu'ils pouvaient tout mettre dans le collectif et se suffire dans leurs analyses du capitalisme.»

«Ils sont dans un lendemain de veille de leurs rêves politiques. Ce qui les rattrape, c'est leur background individuel, certains ne sont pas de familles riches, n'ont pas fait de "plan B". Ils ont vécu dans une sous-culture et c'est très fréquent qu'à un moment donné, on se brûle là-dedans. Je parle de ces gens-là qui se sont dévoués dans l'engagement. Et qui se demandent ce qu'ils doivent faire après.»

Bref, la révolution n'est pas pour demain, mais ils y ont cru, y croient encore, sauf qu'il faut bien vivre d'ici là. Comment? Par l'amour, l'amitié, l'art. L'espoir. Comme cette phrase de Mahmoud Darwich citée en exergue: «Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.»

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Le jeu de la musique. Stéfanie Clermont. Le Quartanier. 341 pages.

Photo fournie par Le Quartanier

Le jeu de la musique