Après le succès de Bondrée qui lui a valu entre autres le prix du Gouverneur général et une sélection comme finaliste au prestigieux prix Giller, Andrée A. Michaud nous revient avec Routes secondaires, exploration sous forme de thriller du thème de l'écrivain et son double.

Comment naît un roman? Dans Routes secondaires, la narratrice marche dans le quatrième rang de Saint-Sébastien-de-Frontenac lorsqu'un prénom s'impose à elle. «Je dois m'appeler Heather. Elle doit s'appeler Heather.»

«C'est exactement ainsi que ça s'est produit, raconte Andrée A. Michaud, rencontrée dans un café par un bel après-midi de septembre. Je marchais dans le 4e rang, j'observais le sous-bois et, cette phrase m'a traversé l'esprit, tout simplement. J'étais en période de recherche d'idées et je me suis dit: "Voilà, j'ai trouvé la première phrase de mon roman et je vais broder à partir de ça."»

Qui est cette Heather, que l'auteure imagine au volant d'une voiture retrouvée dans la forêt, une blessure à la cuisse? Que faut-il déduire du passé de cette jeune femme amnésique? Qu'elle incarne le passé refoulé et les souvenirs enfouis de l'auteure? Au début de Routes secondaires, le lecteur nage dans le brouillard le plus complet. Qu'est-il arrivé à cette Heather? Quels liens entretient-elle avec les personnages qui surgissent de son passé? Et avec la narratrice? Un peu comme lorsqu'on s'éveille d'un rêve et qu'on tente de recoller les morceaux, le coeur battant, la trame du récit se précise à mesure qu'on avance dans le temps. «J'avais exploité le rapport entre la réalité et la fiction, entre l'écrivain et son personnage dans mon roman Les derniers jours de Noah Eisenbaum... J'avais envie de revenir sur ce thème. Je me suis beaucoup amusée à écrire ça, à brouiller les pistes. À la fin, on ne sait plus ce qui est vrai et ce qui est faux.»

La transe de la création

On nage donc en plein mystère dans ces Routes secondaires que l'auteure nous fait emprunter, comme si elle nous entraînait dans les méandres de son esprit en période de création. 

«Inévitablement, je parle d'écriture, du processus de création. J'utilise les éléments du polar pour mieux les transgresser, pour les façonner à ma manière.»

Elle voulait également parler de l'implication de l'écrivaine dans son travail, l'espèce de transe qui s'empare d'un artiste en période de création. «Quand on travaille sur une idée précise, on est habité par cette idée, ça devient omniprésent, insiste-t-elle. On est obsédé par l'intrigue, les décors qu'on construit, ça transcende notre écriture, ça déteint sur notre quotidien, notre vie personnelle... On se met dans un certain état d'esprit qui peut perdurer même une fois qu'on referme le manuscrit.» L'auteure s'est-elle beaucoup dévoilée dans ce roman qui l'a occupée durant trois ans? «Jusqu'à un certain point, répond-elle en réprimant un sourire. Disons que je me suis amusée à laisser entendre au lecteur que je suis un peu fêlée ou qu'à certains moments, je dérape. Au lecteur de faire la part des choses.»

Sur la corde raide

Quand on lui demande comment elle construit ses intrigues, Andrée A. Michaud jure qu'elle n'a aucun plan. «Je travaille à l'aveuglette, je déteste les restrictions, assure-t-elle. Si j'avais un plan, ça ne marcherait pas, je tricherais. Je travaille toujours sur une corde raide, en partant d'une idée vague qui se précise. Ça m'oblige à revenir en arrière. C'est une méthode qui me plaît, car elle me permet de fouiller mon sujet, de l'analyser, d'explorer plusieurs avenues jusqu'à ce que je trouve celle qui me semble la plus riche.»

L'écrivaine n'aime pas davantage les descriptions physiques trop détaillées de ses personnages. Même si l'écriture d'Andrée A. Michaud est très évocatrice - pas surprenant qu'un de ses romans, Mirror Lake, ait été adapté au grand écran - les visages des protagonistes, eux, demeurent plus flous. «J'écris avec mes sens : ce que je sens, ce que je touche, ce que j'entends... Quand j'écris, je vois les paysages, les décors... Ensuite, je rationalise.»

Originaire de l'Estrie où elle est retournée vivre à temps plein il y a cinq ans, l'écrivaine dit être inspirée par son environnement. «La nature, la forêt particulièrement, est un sujet inépuisable, poursuit celle qui vit avec son conjoint dans une maison entourée d'arbres à Saint-Sébastien-de-Frontenac. J'essaie de revisiter les peurs irrationnelles de l'enfance : le noir, les loups-garous, etc. J'aime l'atmosphère trouble qui laisse supposer que tout peut se produire et qui oblige le lecteur à entrer dans une semi-pénombre.»

Finaliste au Giller

La semaine dernière, alors qu'elle se préparait pour un voyage d'une dizaine de jours qui la mènera en Europe pour défendre la traduction de Bondrée (Boundary: The Last Summer), Andrée A. Michaud a reçu un appel de son éditeur lui annonçant qu'elle figurait sur la longue liste des finalistes du prestigieux prix Giller pour ce roman qui a déjà remporté de nombreux prix, ici et en France. «Cette nouvelle, dit-elle, m'a plongée dans un état de catatonie.» Pour une auteure qui rêve de consacrer sa vie à l'écriture - pour l'instant, elle travaille aussi comme réviseure -, ce prix, accompagné d'une bourse de 100 000 $, serait salutaire. La courte liste des finalistes sera dévoilée le 2 octobre et le nom du gagnant ou de la gagnante sera dévoilé le 20 novembre.

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Routes secondaires. Andrée A. Michaud. Québec Amérique. 248 pages.

image fournie par québec Amérique 

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