Ses romans trash et féministes sont au sommet des ventes en France. Les médias se l'arrachent. Malgré le succès, l'écrivaine la plus rock de sa génération n'en reste pas moins lucide. Alors qu'est publié le troisième tome de sa trilogie Vernon SubutexLa Presse retrouve Virginie Despentes dans un café parisien, lumineuse et souriante, tout le contraire de celle que nous avions rencontrée en 2000 pour la sortie du film Baise-moi. Chemise à picots, cheveux teints en blond, «chouclaques» blanches, cigarettes slim et tatouages de Mötörhead, elle parle d'elle et, bien sûr, de Vernon, le DJ le plus célèbre de la littérature française.

On s'est rencontrés il y a 17 ans quand le film Baise-moi, tiré de votre roman, a été censuré en France. Qu'est-ce qui a changé chez vous depuis?

Je n'ai plus 30 ans. On n'est plus exactement pareil en termes d'énergie, de connaissance de soi. La controverse autour de Baise-moi m'a beaucoup changée. J'ai eu l'impression d'avoir un pays contre moi. J'ai arrêté de boire, je suis devenue lesbienne, ça m'a changée aussi. Et puis le fait de vivre de l'écriture, ça m'a embourgeoisée, au sens où je suis sereine. Parce que quoi qu'il arrive, l'essentiel de ma vie, je l'aurai passé à faire ce que j'aimais faire.

Vous avez l'impression d'être devenue une vraie écrivaine?

Je pense que je l'étais déjà. Mais je me sens beaucoup plus acceptée par les libraires, par les critiques. Pour les lecteurs, je pense que j'ai eu de la chance dès le début. Dès Baise-moi, j'avais l'impression qu'ils comprenaient ce que je faisais. Mais pour l'environnement, c'est beaucoup plus facile. L'agressivité à mon endroit, c'est fini. Je touche du bois.

Vos fondations sont plutôt punk-rock. Underground. Vous vendez des livres et faites même partie du jury Goncourt. Comment vivez-vous cette reconnaissance du grand public?

Je ne m'en plains pas. En France, on a la chance d'avoir pas mal d'auteurs qui ne sont pas du tout faits pour être grand public et qui le sont quand même. Carrère, Houellebecq, Maylis de Kerangal... J'ai l'impression qu'on a un lectorat très ouvert, très instruit, pas complexé, capable d'aimer des trucs sophistiqués ou très radicaux. Du coup, je bénéficie de ça. C'est une chance dans un parcours d'écrivain.

Vernon Subutex est un de vos plus gros succès. Il est même question d'une série télé. Vous aviez l'intention de faire trois tomes?

Au départ, je pensais vraiment faire un livre court. J'avais fait un roman qui s'appelait Teen Spirit, un peu sur le même thème du mec qui n'a pas d'appartement. C'était un peu revenir sur la même idée, avec cette fois un disquaire qui perd son appartement et qui va dormir chez deux, trois anciens clients. Et puis voilà, ça s'est passé autrement. Quand j'ai relu ce que j'avais écrit, j'ai vu que j'avais un monstre.

Votre personnage principal, le DJ Vernon Subutex, devient le gourou d'une grande famille reconstituée. L'esprit de communauté, c'est important pour vous?

Je pense que j'en ai envie. J'ai envie d'une communauté qui converge, où tout le monde contribue. J'adore la solitude de l'auteur, j'adore qu'on me foute la paix. Faire ce que je veux - avec l'angoisse qui va avec -, j'adore ça. Mais parfois, j'ai ce vide qui me fait vouloir le collectif de nouveau. Je crois que c'est important. Pas que pour moi. Je crois qu'on en manque.

Certains ont dit que c'était un roman sur la crise de la quarantaine. L'heure des premiers bilans. Vous êtes d'accord?

C'est ce que je vis en ce moment. J'ai écrit ce livre entre 42 ans et 48 ans. Ça me concerne. Je crois que pour la plupart d'entre nous, il y a une surprise à commencer à être vieux. On savait que ça viendrait, mais ça reste une surprise. Les personnages du livre n'ont pas tous de mauvais bilans. Mais ils sont toujours insatisfaits. C'est ce que je voyais autour de moi. Paris était déprimé. Je connaissais plein de gens qui avaient réussi et qui pourtant étaient moroses. Mais là, j'ai l'impression que ça se rouvre. Je ne sais pas vers quoi on va, mais j'ai l'impression qu'on va vers quelque chose. C'est comme si la France avait été secouée. Bizarrement, peut-être que ce sont les attentats...

Dans ce troisième tome, vous évoquez justement les attaques du 13 novembre 2015. C'était important d'ancrer votre livre dans l'actualité ? Il n'y a pas de danger que le bouquin date?

Il est daté de toute façon. Ça ne me paraît pas un problème. Quand on repense aux grands romans du XIXsiècle, ceux de Zola par exemple, c'est très daté, mais on le lit encore. Cela dit, je ne pense pas que dans 50 ans, on lira encore Virginie Despentes. Ça m'étonnerait... Écrire malgré tout ? Ben oui. Le fait d'écrire maintenant, c'est déjà génial. Mais il faut pas se raconter d'histoires (rires) ! Quand tu relis les journaux écrits il y a 30 ans par des journalistes littéraires, comme Bernard Frank et Matthieu Galey, aucun des auteurs qui leur semblaient importants n'est encore lu.

On a l'impression, en lisant votre trilogie, que plus on avance, plus Subutex s'efface au profit des autres personnages. C'était voulu?

Oui, mais en même temps, il est toujours le fil rouge. Sans lui, ça ne marche pas. C'est comme un leader sans aucune autorité. On lui donne beaucoup de pouvoir au fur et à mesure du livre et il ne s'en empare jamais. C'est presque une psychanalyse... si on cherche un peu, il peut y avoir une possibilité de lecture à la limite du bouddhisme. Plus ça va, moins son ego prend de place. Je n'ai pas fait ça consciemment, mais c'est vrai qu'il se dissout. Il est de plus en plus traversé par les autres. Est-ce que ça correspond chez moi à une envie de me départir de mon ego ? C'est possible. L'avenir le dira...

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Vernon Subutex - tome 3. Virginie Despentes. Grasset. 400 pages. En librairie le 29 juin.

C'est quoi l'histoire?

Ex-disquaire, Vernon Subutex n'a plus d'appartement, plus de boulot, plus d'ego. Mais il possède des enregistrements vidéo possiblement incriminants que tout le monde recherche pour des raisons différentes. Débute une course au trésor qui verra se croiser, sur plus de 1200 pages, des personnages aussi divers qu'un scénariste raté, une ex-actrice du X, une tatoueuse, un ancien punk, un pochtron millionnaire, une musulmane pratiquante et un vilain producteur de disques. Cette communauté hétéroclite se retrouvera autour de Subutex, dont les soirées DJ se transforment peu à peu en véritables rituels chamaniques, où chacun vient trouver un nouveau sens à sa vie. Les vidéos ? Elles sont bien quelque part. Mais où?

Image fournie par Grasset

Vernon Subutex, de  Virginie Despentes