Dans une année placée sous le signe des Maritimes, Marchand de feuilles présente Écorchée de la Terre-Neuvienne Sara Tilley. La mise à nu physique et spirituelle d'une jeune fille/femme, écorchée.

Le roman Écorchée de Sara Tilley parle d'une préado blanche qui a eu la vie dure dans le Grand Nord et qui, une fois dans la vingtaine, éprouve de la difficulté à faire sa place à Terre-Neuve. Un roman profond sans être lourd. Sara Tilley, voyez-vous, est une clown. Au sens propre. Si elle rit facilement en entrevue, elle n'a cependant rien d'une circassienne. 

«Je ne suis pas un clown de cirque, mais un clown au coeur pur qui explore la vulnérabilité et les relations humaines. Je suis très timide et l'art clownesque m'aide en ce sens. Ça fait partie de moi et ça influence mon écriture. Je crois que cela facilite la relation avec le lecteur.»

Au départ, Sara Tilley était actrice. Son travail l'a amenée à écrire pour le théâtre, mettre en scène, à créer accessoires, masques et marionnettes. Autant de techniques qui lui servent aujourd'hui à... écrire. 

Chez elle, sur un mur, elle dit avoir installé six grandes cartes, chacune représentant un projet sur lequel elle travaille. 

«Je dois constamment jongler avec ce que je suis en train de faire, avoue-t-elle. Je suis très holistique dans ma façon de faire les choses.»

«Je travaille dans plusieurs champs à la fois, mais c'est un tout pour moi. Tout est relié.»

Sara Tilley cherche continuellement de nouvelles manières de créer. Pour écrire son deuxième roman, Duke, elle portait un masque, autre stratégie empruntée au jeu clownesque. 

«C'est basé sur le journal intime de mon arrière-grand-père et cette technique m'a permis d'écrire en me mettant dans la peau du personnage. Sa vie a été assez aventureuse. Il a raté la ruée vers l'or, vécu en Alaska, fait faillite... J'ai retrouvé 200 pages qu'il a écrites. Il a essayé toute sa vie, mais le destin l'a durement éprouvé.»

Pas une autofiction

Des épreuves, il y en a pour le personnage de Teresa dans Écorchée. Écrit au «je», le livre n'est pas une autofiction pour autant.

«Ce n'est pas quelque chose qui m'attire, même s'il y a là des souvenirs de ma jeune enfance. Mais j'ai fait plus de collage qu'autre chose. Le personnage de Willassie, par exemple, est composé de souvenirs de plusieurs garçons de cette époque.»

«Je cherche davantage une vérité émotive qu'une vérité factuelle.»

Elle a tout de même vécu, enfant, dans une petite île de la baie d'Hudson où elle tenait son journal intime. En écrivant le roman, elle s'est constamment demandé si elle avait le droit, en tant que Blanche, d'écrire là-dessus. 

«Il y avait 400 personnes à cette époque dans la communauté, qui a doublé de taille depuis ce temps. J'avais plusieurs souvenirs inoubliables de cette époque, comme le moment où un ours polaire est venu littéralement frapper à notre porte. Mais ce n'est pas le genre de choses qu'on raconte à brûle-pourpoint, sauf dans un livre, peut-être. L'important pour moi était de ne pas essayer de présenter une vision inuite des choses. C'est la perspective d'une petite étrangère qui se languit d'être intégrée à une communauté inuite.» 

Rythme

Les aventures de Teresa enfant et Teresa jeune adulte sont intercalées, assurant son rythme au livre. 

«J'écris musicalement, reconnaît-elle. Il vient une étape où je lis à voix haute pour trouver le rythme. Le fait d'aller et venir dans le passé et le présent donnait du rythme également. Quand on pense à notre vie ou à la réalité, ce n'est pas linéaire. Écorchée raconte une expérience de découverte de soi, ce qui se fait avec des souvenirs et des moments clés pas nécessairement chronologiques.»

Le personnage de Teresa n'est ni tout blanc ni tout noir. «J'aime quand les personnages restent mystérieux jusqu'à la fin.» Sans être cynique, la jeune Teresa est une enfant qui fait, à l'évidence, plus vieille que son âge.

«Enfant, elle est un peu comme moi. Je lisais beaucoup, j'étais très timide. Mon intellect et mon vocabulaire se sont beaucoup développés, mais sans l'expérience de la vie: aller danser, sortir avec des amis... Teresa lit Roméo et Juliette et Les hauts de Hurlevent, ce qui n'est pas tout à fait idéal pour une préado. C'est quelqu'un de sophistiqué, mais de très naïf en même temps. Ce qui la rend assez drôle par moments.» 

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Écorchée. Sara Tilley. Traduit par Annie Pronovost. Marchand de feuilles. 566 pages.

image fournie par Marchand de feuilles

Écorchée, de Sara Tilley