Lisa Gardner, aujourd'hui considérée comme l'une des reines américaines du thriller psychologique, a toujours aimé lire. Et écrire. «Je n'avais toutefois aucune idée que je pouvais en faire mon gagne-pain!» pouffe-t-elle au bout du fil après que La Presse l'a jointe chez elle, dans le New Hampshire, par une journée neigeuse.

C'est donc à la fois par passion et par jeu qu'elle a couché un premier récit sur papier. Un récit collant à ses lectures du temps. Une romance. Allez, osons le mot: un roman Harlequin. Qui a trouvé sa place chez la très populaire maison d'édition.

C'est sous le nom d'Alicia Scott que Lisa Gardner a publié Walking After Midnight, Shadow's Flame et autres Maggie's Man. «C'était une politique de la maison. Nora Roberts, Tess Gerritson, Valerie Hansen, Catherine Coulter, nous avons toutes commencé sous des noms de plume», fait-elle.

Comment, en cette ère de Fifty Shades of Grey, ne pas faire dévier la conversation sur ces séries «sexy» qui semblent se multiplier comme des lapins et que les lectrices dévorent? Bref, que s'est-il passé pour que Harlequin accouche de Christian Grey?

Lisa Gardner éclate de rire (et Alicia Scott lui fait certainement écho). «Fifty Shades of Grey me rappelle les romances des années 80. Je ne pense pas que c'est nouveau, je crois plutôt que c'est un recul. Les femmes ont toujours aimé les livres très, très sexy. À l'époque, il se publiait des séries historiques qui étaient au moins aussi "épicées" que ce qui se publie aujourd'hui», assure-t-elle.

«La grande différence, peut-être, c'est que les lectrices peuvent cacher leur roman dans leur Kindle et que vous ne savez pas ce qu'elles lisent», poursuit-elle en éclatant de rire - car, comme toutes ces maîtresses du suspense populaire qui concoctent des récits tordus où se commettent des actes affreux, Lisa Gardner est d'un naturel heureux.

C'est du reste avec chaleur qu'elle ajoute combien elle a appris au cours de ces années où elle trempait sa plume dans l'eau de rose (souvent relevée de quelque chose de plus fort).

«Ce genre de romans est très court, il faut parvenir à créer très rapidement des personnages que les gens vont adopter et aimer très vite.»

Cet art du personnage l'a suivie lorsqu'elle est passée au thriller psychologique, avec Jusqu'à ce que la mort nous sépare. «J'aime qu'il y ait une relation amoureuse dans mes livres, mais je me passionne aussi... et surtout, pour la psychologie du crime. Pourquoi des gens font-ils des choses terribles et comment les attraper? Je suis vraiment fascinée par la criminologie.»

Adieu romanche

Au point que ses romans Harlequin, avec le maximum de 60 000 mots qu'ils permettaient, n'ont un jour plus suffi à contenir les intrigues non amoureuses qu'elle imaginait pour l'homme et la femme qu'elle mettait en scène. «Mon agente m'a conseillé d'écrire des thrillers, me disant que je serais plus heureuse ainsi.» C'est le cas, même si chaque roman est «douloureux». Lisa Gardner fait partie des auteurs qui aiment plus avoir écrit qu'écrire.

«Je sais que si je faisais un plan avant de me lancer, le processus serait plus facile. Mais j'ai aussi l'impression qu'un récit minutieusement planifié devient "plat", que si vous, l'auteur, savez ce qui va se passer, le lecteur le saura aussi. Moi, je veux le surprendre... et me surprendre aussi.»

Et pour se surprendre (et surprendre ses fans), elle a fait fort dans son dernier roman traduit en français, Le saut de l'ange: un rebondissement n'attend pas l'autre dans cette histoire qui commence par un accident automobile (mais est-ce vraiment un accident?). Au volant du véhicule, Nicole. Qui subit une commotion cérébrale et ne se souvient que d'une chose: sa fille était dans la voiture avec elle. Où se trouve l'enfant? Les policiers la cherchent. Sans succès. Et soudain, entrée en scène du mari de la blessée. Il assure que la fillette n'a jamais existé.

Qui dit vrai? Qui ment? Le sergent Wyatt Foster et la détective privée Tessa Leonie sont de retour et tentent d'y voir clair. Lisa Gardner retrace leur enquête en utilisant une narration à la troisième personne, «plus neutre, plus détachée»; avant de passer au «je» quand elle entre dans la tête de Nicole. «Nicky est l'ultime narratrice non fiable... puisqu'elle ne sait pas elle-même si elle dit la vérité ou pas.»

Cela lui a aussi permis de teinter l'ensemble d'une aura gothique, «à la Rebecca de Daphné du Maurier», mâtinée de tension hitchcockienne: «Imaginez, une personne qui ne sait plus à qui faire confiance et qui devient étrangère à elle-même.»

Bienvenue dans le monde plus si romantique de Lisa Gardner... ou de feu Alicia Scott.

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Le saut de l'ange. Lisa Gardner (traduit par Florianne Vidal). Albin Michel. 471 pages.

PHOTO FOURNIE PAR ALBIN MICHEL. 

Le thriller psychologique Le saut de l'ange est signé Lisa Gardner.