Hormis les rudiments de français ou d'espagnol appris à l'école et qu'ils se sont empressés d'oublier, la vaste majorité des Américains ne connaissent qu'une langue: l'anglais. C'était un peu le cas de la journaliste du New Yorker, Lauren Collins, originaire de Wilmington en Caroline du Nord.

Si son nom ne vous dit rien, sachez qu'en 2008, le premier grand portrait à paraître sur Michelle Obama à l'époque où elle n'était pas encore une «cool mama» mais une «angry black woman», c'était d'elle. Depuis, Lauren Collins a signé quantité d'autres portraits, entre autres sur Donatella Versace, l'artiste Bansky et tout dernièrement sur Melania Trump et Marine Le Pen.

C'est à Londres, où elle s'est établie en 2010, qu'elle a rencontré l'homme de sa vie, Olivier, un Français de la région de Bordeaux, mathématicien de profession, au prénom longtemps imprononçable pour la fille de la Caroline.

Malgré la barrière des langues, les deux se sont vite mis en ménage avant de s'installer à Genève, où l'Américaine qui croyait parler français a compris à quel point elle le baragouinait.

«À Genève, mon ignorance du français créait une asymétrie entre nous. J'avais besoin d'Olivier pour des choses aussi élémentaires qu'acheter un billet de train. Il était mon traducteur, mon navigateur, mon secrétaire... J'étais comme une personne âgée ou très jeune, dépendant presque entièrement de lui», écrit-elle dans When in French, sorte de journal de bord qu'elle a tenu pendant qu'elle apprenait le français à Genève.

«In english»

L'ouvrage paru en septembre 2016 aux États-Unis sort cette semaine en français chez nous aux Éditions Flammarion, sous un titre «typiquement français»: Lost in French, le récit tendre et cocasse d'une Américaine qui voulait aimer en français.

«In English ou en français?» ai-je demandé à Lauren Collins lorsque je l'ai jointe par téléphone à Paris où elle vit depuis un an. «In English, s'il vous plaît», a-t-elle répondu avec un empressement un brin suspect. Dans les faits, Lauren Collins se débrouille très bien en français, mais entretient encore quelques complexes.

«Si dans ma vie quotidienne à Paris, je ne pratiquais pas le métier solitaire d'auteur et de journaliste, mon français serait sans doute meilleur. Encore que j'ai réussi récemment un test infaillible: celui de me faire comprendre de l'installateur de WiFi. Et ça, croyez-moi, c'est un exploit!», blague-t-elle à moitié.

Au départ, la grande motivation pour apprendre le français, c'était l'amour, voire le désir de mieux communiquer et de mieux comprendre Olivier qui un jour lui avait lancé: «Parler en anglais avec toi, c'est comme te caresser avec des gants.»

C'est donc pour accéder à l'essence même d'Olivier, et ne plus avoir à lui parler avec des gants, que Lauren a voulu apprendre le français.

«L'ironie de l'affaire, c'est que maintenant que je vis à Paris et que je maîtrise le français, Olivier est pratiquement le seul à qui je ne parle pas en français.»

Lost in French est truffé de données historiques, linguistiques et sociologiques fascinantes sur le français, une langue que la journaliste nous fait redécouvrir et dont elle vante les mérites et les splendeurs romantiques. Au début du moins, puisque par la suite, elle ne se gêne pas pour donner quelques coups de Jarnac à l'Académie française, une institution qu'elle juge réactionnaire, tenue par ceux qu'elle qualifie d'«hypocondriaques du français».

«L'Académie française intervient comme un gardien surprotecteur de la langue française, frémissant en imaginant avec qui celle-ci est sortie, à quelle heure elle est rentrée la veille et comment elle peut survivre dans un monde cruel sans compromettre sa dignité», écrit-elle avec humour, ajoutant qu'aux yeux de l'Académie française, le grand corrupteur, c'est «l'anglais, ce bruyant parvenu qui a fait fortune en vendant du Coca et des ordinateurs».

Une Américaine à Paris

Laura Collins admet que tout au long de son exploration de la langue de Molière, sa perspective est demeurée celle d'une Américaine vivant à Paris. Donc pas toujours au fait des débats linguistiques qui ont lieu ailleurs, notamment au Québec.

Ainsi, contrairement à beaucoup de Québécois qui voient d'un mauvais oeil les emprunts constants à l'anglais que font les Français, Collins ne s'en formalise pas trop.

«En fait, précise-t-elle, je ne comprends pas pourquoi les Français mettent tellement de mots anglais dans leurs conversations ou dans les noms de leurs commerces, surtout que la plupart des Français ne parlent pas anglais. C'est peut-être pour ça dans un sens. Ils ne voient pas une menace comme vous au Québec pouvez en voir, parce que dans le fond, ils ne sont pas menacés. Ils sont d'ailleurs les premiers surpris quand on glisse un mot français dans une conversation en anglais.»

Quant à la menace réelle d'une anglicisation du français non pas à travers le vocabulaire mais par la syntaxe et les structures grammaticales, comme le déplorait autrefois Gaston Miron, Lauren Collins n'en était pas vraiment consciente. Elle promet de s'y intéresser.

Dans son livre, Collins cite des linguistes pour qui parler une autre langue, c'est modifier sa vision du monde. Est-ce que ce fut le cas pour elle? «Une nouvelle langue, pour moi, c'est comme des lunettes qui modifient la vue légèrement et qui vous donnent une vision plus claire des choses. Mais je demeure convaincue qu'on peut partager plein de choses sans parler la même langue.»

Sans doute que la chose la plus importante que deux amoureux ne parlant pas la même langue peuvent partager, c'est un enfant. Celui de Lauren et d'Olivier est une petite fille née en France il y a 20 mois. Une petite fille à qui la mère, pour l'instant, parle... en anglais. Chassez le naturel, et il revient au galop, à cheval ou en poussette...

N'empêche. Si vous en avez marre de tous ces esprits chagrins qui cassent du sucre sur le dos du français ou de tous ces prophètes de malheur qui se délectent de son déclin en prédisant sa fin, ce livre savoureux est pour vous. Malgré son titre en anglais...

____________________________________________________________________________

Lost in French. Lauren Collins. Flammarion, 317 pages. En librairie mardi.

Image fournie par Flammarion

Lost in French, de Lauren Collins