Dans le paysage littéraire québécois, Halloween est désormais synonyme de Patrick Senécal. Son plus récent roman, L'autre reflet, qui sortira en librairie le 3 novembre, s'aventure dans les coulisses du métier d'écrivain.

Avec L'autre reflet, tu t'aventures dans l'univers de Michaël Walec, professeur de littérature dans une prison pour femmes, qui parvient à publier un premier roman d'horreur grâce à l'inspiration provoquée par Wanda Moreau, une psychopathe qui lui raconte ses crimes. Toi-même ancien prof de littérature au cégep de Drummondville, mais aussi auteur depuis près de 20 ans, pourquoi as-tu choisi d'écrire sur le milieu dans lequel tu évolues?

Ce qui m'intéressait au départ n'était pas d'écrire sur ce milieu en particulier, mais plutôt que d'explorer une relation malsaine entre deux personnes. J'aimais bien l'idée de l'influence que peut avoir une personne sur une autre pour l'amener vers le mal. [...] On me demande aussi souvent comment je fais pour avoir des idées aussi noires que celles que je raconte dans mes romans. Je ne sais pas quoi répondre. Alors, dans L'autre reflet, j'ai réfléchi à un écrivain qui manquerait d'idées et à qui il faudrait un «coach» afin d'avoir du succès.

Dans ton cas, tes livres sont tous des best-sellers, et même plus. Au Québec, 5000 exemplaires vendus représentent un grand succès commercial, alors que tu en vends parfois plus de 100 000. Ton personnage de Michaël parvient à publier un premier succès en s'inspirant de la vie de Wanda, mais il tombe pratiquement dans l'oubli avec ses deuxième et troisième titres, avant que sa muse meurtrière sorte de prison pour l'aider dans sa quête. Selon toi, quelle est la relation entre les auteurs et le succès?

J'ai 49 ans, ça fait 20 ans que j'écris et je suis chanceux, car je connais beaucoup de succès. Or, c'est quoi, le succès? Jusqu'à quel point en sommes-nous prisonniers? Je proclame sur tous les toits que je suis un auteur libre et que je ne me sens pas redevable de quoi que ce soit. Mais si j'écrivais deux ou trois romans qui ne se vendaient pas, est-ce que j'aurais le même discours de pureté? C'est difficile à dire. Michaël, dans mon roman, est confronté à cela. Retrouver sa gloire devient une obsession chez lui.

À la fin du roman, tu remercies une personne qui t'a aidé à mieux comprendre comment un professeur de littérature encadrait des femmes en détention. À quel point est-ce important qu'une fiction soit conforme à ce qui se passe dans le monde réel?



Quand j'ai terminé mon premier jet, je me suis informé sur la façon dont on enseignait le français dans les prisons. J'ai découvert que j'étais complètement dans le champ. J'ai dû retravailler les 50 premières pages du livre. Si je ne l'avais pas fait, il n'y aurait peut-être eu qu'environ six personnes pour me dire que j'étais «off», mais ça m'aurait fait tiquer de me faire prendre en défaut. J'écris des romans pour susciter l'angoisse, la peur et le mal-être. Plus la réalité que je décris est solide, plus les éléments menaçants et inquiétants de mon histoire fonctionnent.

Un personnage secondaire de L'autre reflet, qui gravite dans le milieu littéraire, est assassiné à un moment clé du récit. Tu imagines ensuite une discussion sur le plateau de Plus on est de fous, plus on lit, animée par Marie-Louise Arsenault, qui demande si les romans gore entraînent la violence. Certains meurtres que tu racontes dans ton livre sont dégoulinants de réalisme. Penses-tu, puisque la question est soulevée, que cela peut susciter de la violence chez tes lecteurs?

Je ne pense pas que ce soit aussi simple que ça. La plupart des psychologues que j'ai rencontrés me disent qu'on ne peut pas réduire l'esprit humain à cela. Pour répondre à ta question, je vais voler une citation à Rémy Belvaux, le réalisateur belge à qui l'on doit C'est arrivé près de chez vous, un faux documentaire où l'on suit un psychopathe dans sa vie de tous les jours. Lorsque Belvaux faisait la tournée de promotion de son film, on lui a demandé s'il avait peur que les scènes de violence encouragent les gens à faire le mal. Manifestement agacé, il a répondu qu'on faisait des scènes d'amour depuis la nuit des temps, mais que le monde ne s'en portait pas mieux. Alors, si ça ne marche pas pour l'amour, ça ne marche pas pour l'horreur. Mes romans sont violents, mais ils montrent cette violence comme quelque chose de malsain. La banalisation de la violence que l'on voit dans certains films est selon moi plus inquiétante. Je crois qu'il y a aussi une sorte d'exutoire avec les thrillers. C'est une forme de catharsis, où l'on joue avec nos pulsions intérieures. De tout temps, l'être humain a eu besoin de voir sa violence matérialisée. Il y a eu dans l'Histoire les gladiateurs, puis les exécutions publiques, mais tout cela n'existe plus. Aujourd'hui, c'est la fiction qui a pris le relais, et c'est un bel endroit pour faire ça.

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Patrick Senécal. Éditions Alire. 431 pages. En librairie le 3 novembre.

Image fournie par les Éditions Alire

L'autre reflet, de Patrick Senécal