Courir pour la forme physique. Courir en rêvant aux Jeux olympiques. Courir pour sauver sa peau. C'est l'histoire de Keita Ali dans Le sans-papiers, le quatrième roman du Canadien Lawrence Hill, auteur d'Aminata, livre plusieurs fois primé.

Les réfugiés syriens, comme les autres depuis toujours, courent pour sauver leur vie. Le romancier et essayiste torontois Lawrence Hill s'intéresse à ce sujet brûlant dans Le sans-papiers.

«À 16 ans, mon premier job d'été consistait à informer les immigrants à leur arrivée à Toronto. Idi Amin Dada avait expulsé d'Ouganda les gens d'origine asiatique qui immigraient en partie ici. Ça m'a amené à réfléchir au sort des réfugiés très tôt, à ce que ça représente d'être sans-papiers. Cette question me tracasse et me fascine.»

Comme étudiant, il a aussi fait du bénévolat en Afrique. Toutes ces expériences l'ont formé et aidé à connaître les Africains et les réfugiés. 

Keita Ali est l'un d'eux. Enfant, il rêve de gloire olympique. La situation politique et raciale dans son pays d'origine l'amène à entrer dans l'écurie d'un agent de marathoniens sans vergogne. Désormais, le sans-patrie et sans-papiers courra pour sauver sa vie et celle de sa soeur. Un récit tout à fait plausible sur la peur constante de ces personnes qui nous sourient dans la rue, mais qui vivent dans la clandestinité.

«On n'y songe pas assez souvent au Canada, dit M. Hill. Pourtant parmi nous, on a des millions de réfugiés sans documentation. Dans les médias, on lit toujours des histoires de réfugiés qui vivent au Canada depuis longtemps. Ils sont enracinés ici avec leurs enfants, mais menacés de déportation.» 

«Ça m'intéressait de voir les angoisses d'une personne qui risque sa vie si on la trouve et la déporte.»

L'écrivain a décidé de planter son récit dans de nouveaux pays, Zantoroland et Libertude, pour éviter la caricature et les portraits incomplets.

«Je n'avais pas envie de devoir reproduire la réalité sociopolitique de l'Occident. Je voulais créer une dystopie en puisant dans mon imagination. Le lecteur se sent moins attaqué et entre davantage dans l'histoire que s'il se demandait à chaque page à quel acteur de l'actualité je fais référence.»



Indifférence

Dans ce roman palpitant où la course est au premier plan - l'écrivain rêvait de devenir champion du 1500 m quand il était jeune -, c'est surtout notre indifférence généralisée à propos des réfugiés qui fait suer. 

«Je suis à la fois craintif et optimiste pour l'avenir, dit-il. Je crains l'explosion de xénophobie à travers le monde. Si on pense à l'extrême droite en Europe, à Donald Trump et, ici, à un candidat conservateur qui veut examiner les "valeurs" des immigrants, on se dirige vers l'intolérance. J'ai écrit le roman pour avertir les Canadiens du manque d'humanité qui existe.»

«Par contre, poursuit-il, le monde essaie de réagir. Des Canadiens partout au pays répondent aux besoins des réfugiés qui sont en train de mourir. Leur venue correspond à nos intérêts économiques et sociaux.» 

«Les réfugiés d'aujourd'hui seront les médecins, les avocats, les enseignants de demain. Ils vont nous aider à bâtir le Canada du futur.»

C'est là que la vie de ce sans-papiers rejoint celle de Lawrence Hill. Comme il l'a déjà écrit dans Black Berry Sweet Juice, il est un Noir et Blanc vivant ici. Fils d'un mariage interracial, il raconte que ses parents ont dû quitter les États-Unis pour s'installer au Canada et vivre leur amour pleinement. 

«C'est inquiétant parce qu'il y a toujours des manifestations de haine et de racisme aujourd'hui. Il y a une tradition d'esclavage là-bas qui a toujours des répercussions en Amérique du Nord. C'est épeurant.»

Intolérance

Lawrence Hill continuera donc de traquer l'intolérance sur toutes les plateformes. Comme son roman Aminata - à propos de l'esclavage -, Le sans-papiers sera adapté en minisérie à la CBC par les mêmes artisans de Toronto, dont le réalisateur Clement Virgo. Il en signe la coscénarisation.

«J'essaie d'écrire pour offrir au lecteur les sensations, les couleurs de ce qu'on peut ressentir et toucher», note-t-il.

Puis, son prochain roman sortira des limbes canadiens une autre histoire surprenante.

«Après Pearl Harbor en 1941, les Américains croyaient que les Japonais les attaqueraient en passant par l'Alaska. Ils ont voulu construire une autoroute de 2000 km du nord de la Colombie-Britannique en passant par le Yukon pour aboutir en Alaska. Ce sont 3000 soldats noirs du sud des États-Unis qui y ont travaillé. Ils ont vécu en état de ségrégation raciale totale pendant 12 mois.»

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Le sans-papiers. Lawrence Hill. Traduction de Carole Noël et Marianne Noël-Allen. Pleine Lune. 445 pages.

Image fournie par Pleine Lune

Le sans-papiers, de Lawrence Hill