Dans un futur pas si lointain, Montréal, comme toutes les grandes villes du monde, est envahi de hordes de pauvres, qu'on élimine sans problèmes de conscience, tandis que les riches se cachent hors de la ville. Un chanteur sombre et décadent, vedette internationale, revient dans sa ville natale au moment où Cate, leader d'un groupe de gueux, tente de créer un soulèvement. Catherine Mavrikakis est de retour, dangereusement en forme. Une forme apocalyptique.

Elle nous a donné rendez-vous dans un café du centre-ville où, en raison des travaux cauchemardesques qui paralysent Montréal, on a eu toutes les difficultés à se rendre à l'heure. Ce Montréal chaotique a bien sûr inspiré Catherine Mavrikakis pour son nouveau roman au goût de fin du monde. On reconnaît la ville, mais tous ses problèmes se sont aggravés autour des années 2050. Pauvreté, épidémie, crise économique, état d'urgence, bunkers pour les nantis, la langue française a presque disparu, et on continue pourtant d'y faire la fête, à danser au bord du précipice.

C'est probablement ainsi qu'un monde s'éteint: lentement, mais sûrement. Et Catherine Mavrikakis a voulu écrire un roman très lent, en mordant à pleines dents dans ce sentiment du déclin qui ronge actuellement tout l'Occident. «J'avais envie de faire quelque chose de «trop», il fallait en mettre trop, explique l'écrivaine, qui dit avoir été inspirée pendant son écriture par les peintures d'Otto Dix, qui mariait si bien le grotesque et l'horreur. 

«N'importe quoi peut arriver, en fait. Et en même temps, c'est déjà arrivé et j'ai l'impression qu'on vit très bien avec.»

On ressent presque une ivresse, un peu perverse, à lire ces pages où se décline à peu près tout le vocabulaire de l'effondrement. Un peu comme si on buvait trop d'absinthe ou qu'on fumait de l'opium, ces substances romantiques, parfaites pour jouir des ruines, et là-dedans, Oscar De Profondis - un nom inspiré d'Oscar Wilde - excelle. Ce personnage qui donne son titre au roman est un condensé de tous les écrivains et artistes de la décadence admirés par l'écrivaine, qui nous offre une superbe orgie de références. En même temps, c'est un personnage qui la fait rire, un total névrosé, accro aux paradis artificiels, chouchouté par un personnel dévoué et qui se protège du chaos extérieur par son amour sincère de l'art. À l'opposé, le personnage de Cate, chef d'une bande de miséreux, est dans la révolte. Elle veut faire la révolution, même si c'est impossible.

Il y a ainsi ces deux postures qui s'affrontent dans le roman, celle de l'indifférence, l'idée que «le monde aille à sa perte», comme le disait Duras, et l'action, la rébellion. N'est-on pas tous déchirés entre les deux, face aux menaces qui pèsent sur l'avenir? «Même si je suis du côté de la révolte, j'ai l'impression d'être une décadente, quand même. C'est comme ça qu'on vit. La littérature est peut-être quelque chose de la décadence aussi, finalement. J'enseigne la littérature mais parfois, j'en ai marre, j'ai envie de dire que la littérature ne sert à rien.»

Elle n'aime pas le mot «anticipation» pour décrire ce dernier roman, très différent de La ballade d'Ali Baba, des Derniers jours de Smokey Nelson ou du Ciel de Bay City.

«Je ne suis pas en train de décrire les temps actuels, mais l'air du temps, pour moi. Je pense qu'il faut faire attention à comment penser ce temps où on a l'impression que tout se déglingue.»

Ce que j'écris est grotesque, mais la disparition des sciences humaines... C'est là, en ce moment! Une certaine disparition du français comme langue de désir, je pense qu'on en est là. J'ai entendu quelqu'un dire un jour: "Je chante en anglais parce que personne n'aime le français". Ce n'est plus une langue désirable, et ça me fait de la peine, bien sûr. Oscar en fait une langue du rock, au moment où elle disparaît.»

Depuis Deuils cannibales et mélancoliques, paru en 2000, le désespoir est un thème qui traverse tous les romans de Mavrikakis. Mais, étrangement, son désespoir est toujours tonique, vivant. C'est bien pour ça qu'on aime lire les écrivains maudits, et Oscar De Profondis est aussi un hommage vibrant à tous ces artistes qui ont su esthétiser les aspects les plus terribles de la vie.

«C'est vrai que je suis une fille du désespoir, avoue franchement l'écrivaine. Le désespoir, ce n'est pas quelque chose qui m'accable. J'en suis curieuse, j'ai envie d'en sortir, j'ai envie de m'y replonger, j'ai envie d'en faire quelque chose. C'est une matière, pour moi. Mais, bon, je suis née comme ça, je suis née désespérée! (rires). C'est peut-être atavique, mais plus je vieillis, plus j'arrive à en faire quelque chose. C'était peut-être plus accablant quand j'étais jeune. Les auteurs du désespoir, moi, ils m'ont toujours consolée. J'ai toujours l'impression d'un baume, de recevoir quelque chose, comme un pansement.»

Disons qu'Oscar De Profundis saura mettre un baume sur toutes vos terreurs, dans cette interminable attente du pire.

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Oscar De Profundis. Catherine Mavrikakis. Héliotrope. 321 pages.

Image fournie par Héliotrope

Oscar De Profundis, de Catherine Mavrikakis