Chris Colfer a commencé à avoir des ambitions artistiques bien des années avant de devenir Kurt Hummel, le jeune gai flamboyant de Glee. Il avait 7 ans quand il a commencé à coucher sur papier ce qui allait devenir la prémisse du Pays des contes, une relecture ou un pastiche des contes traditionnels dont le quatrième tome, Au-delà des royaumes, vient de sortir en français; et dont le cinquième, An Author's Odyssey, paraît la semaine dernière en anglais.

L'acteur de 26 ans se lance ainsi dans une tournée de 10 villes américaines qui l'occupera pour le reste du mois. Vivant une autre facette du fameux «rêve d'enfant» que tous ne peuvent malheureusement pas se targuer d'avoir vu se réaliser. «Tout petit, pour moi, écrire, jouer, chanter, lire... c'était une seule et même chose», racontait-il dans l'entrevue téléphonique qu'il a accordée à La Presse, de cette voix haut perchée, vivante et vibrante, où les émotions et l'intensité se bousculent.

Cette seule et même chose, c'était prétendre. Prétendre être quelqu'un d'autre, être dans une autre vie. «Ce n'est que plus tard que j'ai compris la différence entre tout cela», rigole celui qui, s'il devait choisir une seule carrière, opterait pour celle d'écrivain - «parce que je peux faire ça en pyjama». Nouveau rire. Contagieux. Et qui se propage dans la suite de la conversation.

Oui, Chis Colfer aime dormir. Sans surprise, s'il devait être coincé dans un conte de fées, il choisirait La belle au bois dormant, «où la pire chose qui puisse t'arriver, c'est d'être condamné à dormir!» Bien moins terrifiant que le destin des «habitants» de Blanche-Neige, menacés de voir leur coeur arraché, d'être empoisonnés, perdus dans les bois.

Pourquoi donc?

«Ce conte-là est celui qui me terrifiait le plus», admet celui qui, soir après soir, recevait sa dose d'histoires. «Ma mère m'en racontait à l'heure du coucher... et il était bien rare que je me contente d'une seule!» Surtout que, parfois, il émergeait de l'expérience les sens en éveil et non au bord de l'assoupissement. Sa mère avait la (bonne) habitude de retourner aux versions originales des contes, «avant qu'ils n'aient été "disneyisés" et n'aient perdu au moins une partie de leur message», de leur fonction cathartique.

Bref, la petite sirène mourait, le Petit Chaperon rouge n'était pas sauvé par un chasseur providentiel, les méchantes demi-soeurs de Cendrillon se coupaient carrément le talon ou les orteils pour pouvoir chausser la pantoufle mythique, etc.

«Après chaque lecture, moi, j'avais des questions. Tellement qu'à un moment donné, ma mère m'a suggéré d'écrire mes propres histoires.»

Il s'y est sagement attelé. A rapidement abandonné. Découragé. S'en est ouvert à sa grand-mère. «Je lui ai dit que je ne pensais pas avoir ce qu'il fallait pour devenir un auteur. Elle m'a suggéré d'attendre d'avoir terminé mes études primaires avant de me demander si j'étais un écrivain raté.»

C'est finalement bien plus tard, en 2010, pendant la tournée mondiale de Glee, qu'il a repris le collier. «J'écrivais en coulisses, dans les arénas, entre deux chansons.» L'année suivante, il signe un contrat pour deux livres avec un éditeur. Le premier tome de The Wishing Spell (Le sortilège perdu) sort en 2012. Le succès aidant, et le plaisir de coucher sur papier ces aventures-là étant si grand, la série, destinée aux 8 à 10 ans, comptera finalement six tomes.

Yin et yang

On y suit des jumeaux, Alex et Conner, orphelins de père, qui «tombent» par magie (c'est le cas de le dire) dans un livre. Arrivée, donc, dans un pays des contes... où la réalité des personnages diffère beaucoup de celle qui est transmise aux enfants d'aujourd'hui. Ainsi, Jack (celui du haricot magique) et Boucle d'Or (celle des trois ours) sont des bandits de grand chemin, Gretel aurait tué Hansel, la mère l'Oie a un faible pour Merlin, etc.

«Alex est patiente, de bonne humeur, logique. Conner est plus cynique et sarcastique. Ils sont tous les deux une partie de moi, mon yin et mon yang. C'est très thérapeutique de les faire vivre, qu'ils soient dans la complicité ou la rivalité, qu'ils se disputent face à une décision à prendre ou s'allient pour surmonter une épreuve.» Et des décisions, des épreuves, ce n'est pas ce qui leur manque dans les pages de la saga.

Chose qui s'applique parfaitement à Chris Colfer, dont le principal défi dans ce projet a été de faire fi des commentaires négatifs qui ont plu sur lui et autour de lui lorsque le fait qu'il écrivait un roman a été connu.

«Il y a eu beaucoup de suppositions à mon sujet. Un, que je ne savais pas écrire puisque j'étais un acteur. Deux, que j'aurais un nègre qui écrirait à ma place. Trois, que si j'écrivais vraiment, ce serait terriblement mauvais. Ça a commencé un an avant la publication du roman. Trouver le courage d'écrire même si ce que je n'avais même pas encore écrit était sévèrement jugé, c'est ce qui a été le plus difficile.»

Sauf que Chris Colfer ne se laisse pas décourager par le harcèlement: il y a goûté à l'adolescence, à cause de sa silhouette alors ronde, de sa voix haut perchée, de son orientation sexuelle. Il a survécu. Et en est sorti plus fort. Oui, il rit beaucoup, sa gaieté est contagieuse, sa lumière aussi. Mais il possède une part d'ombre. Qui lui sert dans sa carrière. Ses écrits. Sa vie.

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Le pays des contes. Chris Colfer. Michel Lafon. Pour les 8 à 10 ans.

Chris Colfer en rafale

Ses livres jeunesse préférés

«Il y en a tellement! J'aime Les chroniques de Narnia, Peter Pan, Le magicien d'Oz, tout ce qu'ont écrit Roald Dahl, Eva Ibbotson et Bruce Coville, mais, comme des millions d'enfants, les livres qui ont eu l'impact le plus profond sur moi sont les Harry Potter. Jeune, je n'étais pas un bon lecteur, les Harry Potter m'ont fait découvrir que lire pouvait être agréable et inspirant», fait celui qui a rencontré J.K. Rowling... à la Maison-Blanche. «J'étais plus excité par sa présence que par celle du président Obama.»

Son message aux ados

Son adolescence n'a pas été facile. Il y a eu des hauts, mais aussi bien des bas. Au point que ses parents lui ont fait l'école à la maison pour ses deux dernières années du secondaire, afin de couper court au harcèlement dont il faisait l'objet. À ceux qui traversent cette période où l'exaltation côtoie le découragement, il dit: «N'oubliez jamais, chaque émotion a une date de péremption.»

Sa responsabilité

Grâce à son personnage dans Glee, le flamboyant Kurt Hummel, il est devenu un symbole pour bien des jeunes gais. «Oui, je vois cela comme une responsabilité. Quand Glee a commencé, il y avait très, très, très peu de jeunes gais évoluant sous l'oeil du public. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et ça rend optimiste quant au progrès que fait la société.» Malgré de terribles écarts comme la tuerie d'Orlando. «Je ne sais que dire à ce sujet. D'habitude, je trouve des mots. Dans ce cas-ci, je n'ai que frustration et colère.»