Québec Amérique a eu la main fort heureuse en traduisant Fifteen Dogs d'André Alexis. Le langage de la meute est une fascinante fable à propos de... l'humanité.

Le roman Le langage de la meute a remporté le Prix Giller 2015, un des plus prestigieux prix littéraires au Canada. Une récompense qui a changé la vie de l'écrivain torontois. 

«Les attitudes ont changé envers moi et mon travail. J'ai des demandes pour parler et écrire ici et là. En ce moment, c'est un peu chaud», dit-il dans un français fort convenable. 

Le langage de la meute est un apologue, une fable où les dieux sont plus humains que les humains, où les chiens pensent et parlent. Tout le monde y est malheureux... ou presque. En le lisant, on rit tout de même beaucoup. 

Les premières phrases relèvent d'ailleurs du sourire en coin. Les dieux Apollon et Hermès, attablés à une taverne, débattent de la question de l'intelligence et du bonheur. Pour résoudre cette énigme, ils décident de doter de conscience 15 chiens dans la ville de Toronto. 

«Comment rester chien si on a conscience de ce que c'est? Comment être humain si on se demande ce qu'est être humain? Il y a une expression en anglais qui résume ces questionnements existentiels : aux yeux d'un marteau, tout ressemble à un clou. On est des marteaux, comment alors juger d'autres marteaux?»

En fait, c'est à se demander s'il faudrait être plus idiot pour vivre heureux.

«Il n'y a pas de réponse à ça, répond l'auteur. Un philosophe arabe du XIIsiècle disait que Dieu a donné à l'humanité la raison. Alors, éviter la raison, c'est éviter un don de Dieu. Je suis d'accord avec lui. Même si c'est difficile, parfois, la raison, il faut trouver une façon de l'utiliser.»

Athéisme

André Alexis est un athée qui s'intéresse au divin. Avec Pastorale, Fifteen Dogs et The Hidden Keys, son prochain livre, il travaille à une série de cinq livres philosophiques. 

«C'est le film de Pasolini, Teorema, qui m'a donné l'idée de faire intervenir un dieu sur terre. Ce film m'a bouleversé. J'ai été élevé en tant que catholique, mais je ne suis plus croyant. Mais j'ai cette fascination pour la mythologie religieuse. Je voulais parler du divin dans la vie normale. J'ai trouvé cinq façons de traiter de cette idée. Même si Dieu n'est pas présent, il est partout. C'est le père absent.»

André Alexis démontre, dans son roman, un grand sens d'observation de la psychologie, autant canine qu'humaine.

«Même s'il s'agit de chiens dans le roman, je traite de l'esprit humain. On a donné à ces chiens la façon humaine de penser le pouvoir, l'amour, la théorie marxiste. L'important pour moi, c'était de créer dans l'esprit du lecteur l'idée de l'animal pour mieux faire passer mes idées sur l'humanité. C'est plus intéressant et étrange de rendre ainsi ma façon de penser.»



Yann Martel

En lisant André Alexis, on ne peut pas ne pas songer à un autre célèbre écrivain canadien et aux animaux qui peuplent ses romans: Yann Martel.

«Je le connais et j'aime beaucoup Yann. Mais j'ai de la difficulté à le lire parce que j'ai l'impression de me lire moi-même. On se ressemble trop!», s'exclame l'artiste, qui a vécu longtemps à Ottawa. 

Son utilisation de la fable, dans tous les cas, lui vient de sa famille.

«Je suis né à Trinidad, où la culture orale est très forte. Quand mon père m'a lu pour la première fois l'oeuvre des Grecs, ça me semblait familier. Homère me paraissait trinidadien. Le folklore reste en moi. Le langage de la meute rejoint un peu ça, comme certains auteurs québécois tel Yves Beauchemin, par exemple.»

Parmi les 15 chiens de son récit, le plus touchant est sans doute celui qui s'en tire le mieux, le poète.

«Avec l'art, on a la possibilité de transformer la vie et le monde. Dans cette transformation, on peut partir du triste pour aller vers le beau, le désirable, le magnifique. C'est un peu mystérieux, mais terriblement précieux.»

Face à lui, le chef de la meute Atticus a un destin plus tragique. Il rejette la pensée, mais s'en sert sournoisement pour dominer les autres. 

«Il y a quelque chose d'admirable et de tragique chez Atticus, reconnaît l'auteur. Je suis un tragédien, mais il y a quelque chose de complètement comique dans la vie humaine.»

Même chose avec l'amour?

«Tout à fait. L'un des points de départ du roman était une phrase d'une psychologue que j'ai entendue: l'inverse de l'amour, ce n'est pas la haine, mais le pouvoir. Le langage de la meute est une méditation sur cette idée. Prince meurt heureux en se souvenant du don qu'il a reçu: l'art. Pour lui, c'est le langage, la poésie. Il est heureux parce qu'il a reçu ce don: le vrai amour.»

Le langage de la meute. André Alexis. Traduction de Michel Saint-Germain. Québec Amérique. 238 pages.

Image fournie par Québec Amérique

Le langage de la meute, d’André Alexis