Chef de la programmation de RTL, première radio privée en France, l'ancien journaliste Jacques Expert mène en parallèle une prolifique carrière d'écrivain: il lance en effet ce mois-ci en France Hortense, son huitième polar en neuf ans, qui sortira au Québec en août. Nous l'avons rencontré juste avant son passage aux Printemps meurtriers de Knowlton, il y a une dizaine de jours. Portrait d'un homme aux multiples facettes.

Journaliste

Jacques Expert a longtemps été grand reporter pour les radios France Inter et France Info, couvrant des zones de conflits un peu partout dans le monde pendant les années 80 et 90, du Liban à la guerre des Balkans. Il a quitté ce métier passionnant mais difficile, qu'il a adoré, vers la fin des années 90. « J'étais atteint du cul de plomb. C'est-à-dire que quand le téléphone sonnait, je n'avais plus envie de bouger. Mais j'ai eu la chance de pouvoir faire une transition bénéfique après », dit Jacques Expert, qui a été directeur des programmes de la chaîne de télé privée Paris Première pendant 11 ans avant d'être nommé patron de RTL en 2012.

Le premier polar

Jacques Expert a d'abord écrit deux livres de récits - La longue peine, en 1989, sur les prisonniers qui, d'une condamnation à l'autre, finissent par passer leur vie derrière les barreaux, et Gens de l'Est, en 1992, qui parle des impacts de la chute du communisme à travers une série de portraits. C'est après avoir enquêté sur les femmes qui ont vécu à côté de monstres sans le savoir qu'il a publié son premier polar en 2007. « Ça devait être un livre de récits, mais c'était difficile car ce sont des histoires douloureuses pour les femmes. Je devais créer des liens à long terme, et il aurait fallu que je prenne un an sabbatique, ce qui n'était pas possible. » Ainsi est né La femme du monstre, qui lui a donné l'envie de continuer.

Écrire

Jacques Expert a vite compris les avantages de l'écriture romanesque. « Pas besoin de vérifier s'il est parti à 8 h 30 ou 9 h, on s'en fout ! Ça donne une grande liberté. » Il publie depuis un roman par année, faisant « sérieusement » son boulot de patron à RTL pendant la semaine et écrivant la fin de semaine. Il ne se repose, en fait, qu'une fois les vacances arrivées. « C'est devenu un équilibre de vie. Et puis, c'est quand même exigeant, écrire, même si ce n'est pas douloureux pour moi. Alors j'ai l'impression que si je descendais du vélo trop longtemps, j'aurais du mal à remonter. J'ai besoin de rester dans le truc », dit l'auteur, qui travaille toujours sans plan. « Et je ne connais pas la fin quand je commence. J'aime me surprendre avec des pistes que je n'avais pas imaginées. »

Faits divers

L'ancien journaliste se décrit comme un observateur du quotidien qui s'inspire de minuscules faits divers pour créer des ambiances et des intrigues. « Quand j'étais reporter, je partais aussi d'un détail pour raconter une grande histoire. » Dans son plus récent livre, Deux gouttes d'eau, c'est l'histoire d'un procès avorté aux États-Unis parce qu'on n'arrivait pas à déterminer lequel de deux jumeaux identiques avait commis un crime qui l'a inspiré. « La question de la gémellité m'intéressait, mais c'est avec une petite ligne comme ça que j'ai trouvé », dit l'auteur pour qui le polar est surtout un prétexte pour créer des univers noirs.

Crimes célèbres

Pendant deux étés, Jacques Expert a livré à France Info des portraits des criminels les plus célèbres de l'histoire. En a résulté un livre, Scènes de crime, qui en réunit 60, de l'Étrangleur de Boston à Mata Hari. Ce qu'il retient de cette série, c'est que la « mauvaiseté », comme il dit en souriant, a toujours existé. « Il y aura toujours des salauds et des gentils. Il y a de vrais fumiers, qui se manifestent dès l'enfance, tout comme nous ne sommes pas tous potentiellement des assassins. Les gentils ne deviennent pas vicieux plus tard, quel que soit leur environnement. Je crois vraiment qu'il y a des prédispositions au mal et au bien. »

Adaptation

En 2014, son roman Ce soir je vais tuer l'assassin de mon fils a été adapté pour la télévision, avec entre autres Jean-Paul Rouve. « J'ai eu la chance de tomber sur un réalisateur et un scénariste sympas. Un scénario n'est pas le roman, il faut accepter qu'il y aura une simplification de l'intrigue. Mais si l'esprit général est respecté, on dit go. » Grâce au succès de ce téléfilm, Jacques Expert s'est ensuite fait commander la bible d'une nouvelle série, c'est-à-dire qu'il n'en a dessiné que le cadre général. « C'est une brigade avec des personnages un peu atypiques. Mais je n'écris pas le scénario, je n'en suis que le directeur de collection, ce qui consiste à ne rien faire à part dire : "Ça, c'est bien, ça, c'est pas bien..." Le meilleur des rôles ! »

Radio

En cette période de crise dans les médias, Jacques Expert, qui dirige la station RTL depuis quatre ans, estime que la radio ne s'en sort pas si mal. « La radio est un média de crise. À la radio commerciale, la publicité est efficace et coûte moins cher, alors quand les entreprises regardent leur budget, elles conservent la pub radio parce qu'elles savent qu'elle fonctionnera. » Par rapport à la presse écrite, « qui souffre énormément » sur le plan commercial, et à la télé, « qui doit se partager toujours le même gâteau mais dans un contexte de multiplication des chaînes », les radios commerciales réussissent donc à tirer leur épingle du jeu. « À RTL, nous avons eu une très bonne année publicitaire, à date. »

France

Difficile de ne pas parler de la santé de la France avec cet observateur d'expérience. « C'est un état d'esprit général, on est dans un marasme d'idées », dit-il, estimant qu'entre Nuit debout et les attentats, c'est « quand même un peu le bordel ». « On sort d'années politiques difficiles, et on a réenquiquillé avec d'autres années politiques difficiles. Les gens ont besoin d'être dirigés, de sentir que leur destin est pris en main. C'est ce qui explique, je crois, l'engouement actuel pour Alain Juppé [NDLR : favori de la droite en vue de la présidentielle de 2017]. Les Français ont besoin d'un guide. » Jacques Expert comprend très bien les jeunes qui s'exilent de ce côté-ci de l'Atlantique. « On arrive au Québec, c'est vraiment un havre de paix. »