Denis Thériault vient de publier son quatrième roman, La fiancée du facteur, la suite du fort populaire Le facteur émotif. Populaire, faut-il dire, davantage en Europe qu'ici. Portrait d'un auteur qui peut enfin voir la vie en rose après des années de labeur.

Denis Thériault est un romancier choyé. S'il reste peu prophète, voire méconnu, en son pays, il est publié dans plusieurs langues. Même son premier roman, qui vient de recevoir le prix Hervé-Foulon du livre oublié, L'iguane (2001), est offert dans trois pays européens. Vendu à environ 3000 exemplaires au Québec, il a trouvé preneur chez 50 000 lecteurs en Allemagne seulement.

Modeste, l'auteur dit avoir été tout simplement chanceux. Même s'il reconnaît qu'il travaille beaucoup à chacun de ses romans. «Je suis un bosseur. Ça me prend quatre, cinq ans pour écrire un livre. Parfois, je réécris presque tout depuis le début. Quand une meilleure idée survient, il faudrait être fou pour ne pas l'utiliser.»

Sa «chance», comme il dit, ce sont des éditeurs qui ont cru en lui. Ici, à Toronto et ailleurs. Son secret pour l'Europe: une agente.

«Je l'ai depuis 10 ans. On est des amis. Je n'ai plus un seul éditeur, mais 15. Pourtant, j'ai des amis écrivains, très bons, qui ne réussissent même pas à se faire traduire. On m'a expliqué que mes romans sont aimés par les éditeurs internationaux parce qu'ils sont courts et moins chers à faire traduire. Le risque financier est moins grand.»

Depuis un an et demi, ce scénariste de formation, qui a travaillé sur une pléthore d'émissions jeunesse à la télé, dit vivre de sa plume. Et il écrit tout le temps. Des histoires bien ficelées où des personnages attachants vivent des aventures qui les sortent de l'ordinaire.

«Quand je me relis, si je m'ennuie, c'est mauvais signe, dit-il. Je travaille fort sur le récit, le développement des personnages, à trouver un angle, un sentier moins fréquenté.» 

«J'admire Stanley Kubrick. Chaque film qu'il faisait était dans un genre différent. Il m'a beaucoup inspiré.»

Le romancier originaire de la Côte-Nord est un conteur avant toutes choses. Pas d'autofiction dans son cas. Avant d'écrire la vie de Bilodo, le facteur des deux romans, il se rappelle avoir découvert une enveloppe décachetée dans son courrier il y a des années. Il s'est mis à imaginer un facteur qui ouvrait le courrier des autres à la maison.

Haïkus et fiancée

«Le personnage s'est construit à partir de ça. Un événement fortuit. Il trouve la correspondance entre une Antillaise et un Québécois. En tombant sur un livre de haïkus, je me suis dit que ces petits moments d'éternité pourraient faire en sorte que Bilodo tombe amoureux. J'ai appris à la dure à écrire des haïkus.» 

La suite du Facteur émotif s'est imposée à lui par la réponse des lecteurs du premier livre et de sa maison d'édition. Pour sa part, il y voyait un défi intéressant comme écrivain.

«Il y a 10 ans entre les deux romans. Ce n'est qu'il y a trois ans que j'ai eu le flash de ce qui pouvait suivre. Je me suis remis à écrire des haïkus. Ils ont une valeur narrative propre, c'est un outil narratif, pas de la grande poésie.»

Le genre lui convient si bien qu'il songe à l'écriture d'un roman qui se déroulerait dans le Japon médiéval. Mais La fiancée du facteur, tout comme Le facteur émotif, parle d'un mal contemporain, celui de l'isolement que peut provoquer l'imaginaire «Je voulais parler de la solitude postmoderne. Bilodo est représentatif des jeunes d'aujourd'hui, je crois. Ils se projettent beaucoup dans le virtuel, comme s'ils craignaient la réalité. Les gens ont tendance à s'isoler. Bilodo a Tania devant lui et il ne la voit pas.»

Présente dans le premier roman comme personnage secondaire, Tania, la fiancée, est évidemment au centre du deuxième, mais elle aussi s'invente un amour avec le facteur. Ce sentiment ne serait-il que construction?

«Peut-être que oui, fait-il en souriant. Il y a sûrement une grosse part d'imagination dans le fait de tomber amoureux. Il faut être dans certaines dispositions. Il y a une quête, une recherche et une construction. Bilodo et Tania imaginent l'amour avant de le vivre.»

Reconnaissance

Plus lucide que ses héros, mais tout aussi réservé, Denis Thériault ne rêve pas à la célébrité. Le peu de reconnaissance qu'il reçoit au Québec ne l'empêche pas de dormir. «Il y a une dizaine d'années, cela piquait mon orgueil. Mais je ne cherche pas le feu des projecteurs.»

Actuellement en résidence à Londres, il a appris que la maison londonienne Oneworld - qui représente déjà les auteurs canadiens Joseph Boyden et Jane Urquhart au Royaume-Uni - vient d'acquérir trois de ses romans. Serait-il tenté de vivre en Europe? 

«C'est quand même chez nous ici. Je suis né sur la Côte-Nord. Je suis très, très québécois au fond de moi. Mais je voyage de plus en plus et j'aime ça. Mes livres me font voyager. J'étais en Espagne récemment. Je m'en vais bientôt en Italie, en Pologne, en Grèce, en Allemagne.»

De quoi voir l'avenir en rose. 

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La fiancée du facteur. Denis Thériault. XYZ, 170 pages.

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON D'ÉDITION

La fiancée du facteur, de Denis Thériault