Le nouveau roman de Robert Lalonde, Le petit voleur, fait revivre l'époque, le style et la vie d'Anton Tchékhov. Sans volonté biographique, cependant, avec un intérêt marqué pour la relation maître-élève.

Robert Lalonde enseigne la création littéraire comme il enseigne le jeu. Avec rigueur et exigence. Résultat: quatre de ses anciens élèves viennent de publier dans les derniers mois. Le comédien et romancier en est à cette étape d'une vie de création bien remplie où redonner ce qui l'a tant nourri devient en soi une nouvelle source d'inspiration.

«La notion du mentorat m'intéresse beaucoup. Quand on en parle, on a l'impression que l'un vide l'autre, mais ça ne marche pas comme ça. Si je n'étais pas en contact avec des jeunes, je ne serais pas là où j'en suis. Je leur dois beaucoup.»

«Il y a quelques années, en marchant dans la rue avec les carrés rouges, beaucoup d'affaires ont bougé dans ma tête et ma façon de faire les choses, dit-il.»

Ces événements sociopolitiques marquants ont rappelé à Robert Lalonde l'importance d'un dialogue entre les générations au Québec.

«Il y a toujours eu une parenté entre la Russie et nous: le tempérament, la censure, le climat en général. Mais c'est pendant les carrés rouges que j'ai commencé à écrire. Je pensais à Tchékhov et me demandais ce à quoi il penserait pendant ces événements. Pourquoi est-on si faible en transmission intergénérationnelle?»

Rendez-vous manqué

Le roman raconte un rendez-vous manqué entre l'auteur de La cerisaie et Iégor, un jeune personnage fictif d'apprenti écrivain qui lui voue une admiration sans bornes. 

Tchékhov est parti sous les cieux plus cléments de France se refaire une santé. Au même moment, Iégor s'est rendu chez l'écrivain à Mélikhovo. Il tombera amoureux et «volera» bien quelques idées au grand écrivain en cours de correspondance. 

«Iégor ressemble à mes étudiants dans son absolu de jeunesse, mais aussi dans la notion de confrontation. Il pense régler le cas à la Russie puisque personne ne l'a fait avant lui. Il a cette vénération pour le bonhomme. Mais même dans une relation de mentorat comme celle-là, ce n'est pas nécessaire d'être d'une totale transparence. C'est un mélange de confiance et d'exigence. L'art est exigeant.»

Piratage

Robert Lalonde avoue avoir fait du «piratage par amour» pour rendre dans son roman le style tchékhovien empreint d'une apparente simplicité et de non-dits.

«S'il y a des exégètes, ils iront voir. C'est moi et c'est lui, mélangés. On devra s'arranger avec ça», fait-il, tout sourire.

L'écrivain québécois n'a pas cherché à faire la biographie d'Anton Tchékhov, mais à entrer dans la tête du célèbre dramaturge russe qu'il a lu et joué maintes fois.

«Je me demandais de temps en temps en faisant ce livre si Anton serait content. S'il trouverait que je ne le démérite pas trop. Il serait gêné qu'il soit question de lui, mais il ne pourrait pas trop me prendre en erreur, je crois.»

Travail, travail, travail

Le petit voleur, c'est peut-être un peu Tchékhov qui revit au contact de son apprenti. C'est beaucoup Iégor qui met en pratique les idées du maître. Et le vol n'en est pas vraiment un. Il s'agit plutôt d'un échange intéressé entre adultes consentants. 

Tchékhov a beaucoup écrit dans sa vie. Des pièces et des nouvelles surtout, mais il a tenu une correspondance assidue avec plein de gens, dont de jeunes auteurs.

«Il était à la fois très critique et très bienveillant avec les gens. Sans aucune préoccupation pour l'âge de ses correspondants. Il était autant ami avec le vieux bonze Tolstoï que le jeune Gorki qui commençait.»

«Il y a une certaine forme d'individualisme dans notre société qui nous fait penser qu'on peut toujours se débrouiller tout seul. Les étudiants en théâtre ont beaucoup de difficulté à composer avec les partenaires, les costumes, les décors. Il faut y arriver en se débarrassant de tout ce qui n'est pas bon. La technique de l'essai-erreur est importante dans le travail. Ça prend du temps. L'acharnement thérapeutique ne sert à rien en écriture.»

Mentorat

Robert Lalonde continue donc son mentorat. Il termine des Carnets d'écriture en ce moment, à l'image de la collection qu'il dirige chez Gaétan Lévesque. Le prof assure qu'il ne lâchera pas ses étudiants de sitôt.

«Je passe le tiers d'une année scolaire à essayer de briser la barrière qui nous sépare afin d'être capable de communiquer pleinement avec eux. Ils ont l'impression qu'on est sur une autre planète, alors que les profs de mon âge considèrent les jeunes comme des mutants, d'un autre genre humain qui va naître.»

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Le petit voleur, Robert Lalonde, Boréal, 183 pages.

IMAGE FOURNIE PAR BORÉAL 

Le petit voleur, de Robert Lalonde