«Demain, mon cousin Woody entrera en prison. Il y passera les cinq prochaines années de sa vie.» Ainsi démarre, sur les chapeaux de roues, le nouveau roman de l'écrivain suisse Joël Dicker.

Son deuxième sans vraiment l'être: avant d'avoir connu, en 2012, un succès planétaire avec La vérité sur l'affaire Harry Quebert (3 millions d'exemplaires vendus en une quarantaine de langues, prix de l'Académie française et Goncourt des lycéens), il avait publié, de façon plus confidentielle, Les derniers jours de nos pères. Et il avait aussi écrit quatre autres livres, qui sont encore dans ses tiroirs - et qui y resteront.

Bref, pour ce jeune homme qui vient d'avoir 30 ans, Le Livre des Baltimore est le livre «d'après». Après le phénomène. Le triomphe, diraient certains... qui ne sont pas Joël Dicker: pragmatique, il a conservé les pieds sur terre.

«L'expérience accumulée avant m'a permis de voir comment tout ça fonctionne, et de mieux gérer les attentes et les attentions», expliquait-il à La Presse plus tôt cette semaine, alors qu'il était de passage à Montréal pour la promotion du Livre des Baltimore.

Comprendre qu'il a écrit ce nouveau bouquin sans sentir 3 millions de paires d'yeux au-dessus de son épaule, scrutant chaque mot qu'il posait sur l'écran. Il en avait d'ailleurs commencé l'écriture avant que Quebert ne devienne le succès que l'on sait. Ce qui est probablement une bonne chose.

«Le succès de Quebert a quand même changé des trucs: l'écriture des Baltimore n'a pas été plus difficile, mais différente, note-t-il. Entre le moment où vous écrivez sans jamais avoir été lu et celui où vous écrivez et avez été beaucoup lu, il y a un monde. Sauf que la pression, la vraie, n'est pas celle que les gens nous mettent, mais celle que l'on se met nous-mêmes en se demandant ce que les gens vont penser.»

Pareil, pas pareil

Ainsi, en reprenant le collier (qu'il n'a jamais vraiment lâché: il a toujours un projet d'écriture en cours), une question le tracassait: «Est-ce que je me répète?»

D'autant que, comme dans La vérité sur l'affaire Harry Quebert, la narration du Livre des Baltimore est faite par Marcus Goldman, écrivain à succès encore une fois aux prises avec l'angoisse de la page blanche. Et que le récit, qui se déroule de nouveau sur la côte Est américaine, fait des allers-retours entre le passé et le présent.

Mais là où Quebert donnait dans l'enquête entourant la disparition d'une adolescente, Baltimore joue la carte de la tragédie familiale. Une tragédie qui n'est révélée qu'en fin de parcours et qui, avant ce dévoilement, se cache derrière le «D» majuscule du mot «drame».

Sinon, sur le plan du récit pur, pas d'autre fil rouge entre les deux romans que leur narrateur. À part le fait que Marcus ait eu une aventure avec «l'actrice de l'heure», les événements survenant dans les deux livres ne s'emboîtent pas. L'un n'est pas la suite de l'autre. Ils se placent côte à côte, point.

Reste quand même cette similitude de ton et de forme. Assez pour alimenter le lancinant «Est-ce que je me répète?». Joël Dicker y a toutefois mis un holà assez rapidement. «Il était plus sain de balayer tout ça. Le plus important, me suis-je rendu compte, c'était de faire un livre qui me plaise à moi. Que j'aie du plaisir à l'écrire. Vous pouvez toujours penser aux autres, mais vous ne pouvez pas penser pour eux ni leur dire quoi penser.»

Se perdre pour se trouver

Il est donc retourné à la source, à ce plaisir qu'il a - depuis toujours - à écrire. Il a repris le texte des débuts et, sans plan, comme à son habitude, il a plongé. Laissant toutes les portes ouvertes. Se perdant à l'occasion. «C'est comme ça qu'on se trouve.» Revenant en arrière. Recommençant. Changeant de direction. Il existe 65 versions du Livre des Baltimore. Six ou sept complètement différentes les unes des autres.

Le bonheur, quoi. Après tout, c'est pour cette raison, parce qu'il est heureux en écrivant, que Joël Dicker a persévéré alors que ses quatre premiers manuscrits avaient été refusés par tous les éditeurs français. «Le curseur qui m'indique que je suis sur le bon chemin, c'est quand j'ai du plaisir à retrouver mes personnages et à leur inventer une histoire. Je ne me mets pas à l'ordinateur parce qu'il le faut, mais parce que j'y suis heureux.»

Et ce bonheur, il peut le trouver n'importe où. Car, la tournée de Quebert l'ayant occupé pendant presque trois ans, il n'avait plus de longues plages de temps à consacrer aux Baltimore dans la tranquillité d'un bureau. Il a appris à écrire n'importe où. Dans les hôtels, les aéroports.

Plaisantant (à peine), il dit d'ailleurs qu'il a écrit Le Livre des Baltimore dans les avions. Pas mal, quand écrire équivaut à frôler le septième ciel.

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Le Livre des Baltimore. Joël Dicker. Éditions de Fallois. 475 pages.