Le romancier britannique William Boyd propose cet automne une fausse biographie absolument «bluffante», comme disent les Français. Les vies multiples d'Amory Clay, qui est parsemée de vraies photos d'archives, suit le parcours au fil du XXe siècle d'une photographe inventée de toutes pièces. Roman à la fois historique et intime, il nous entraîne ainsi dans des décennies marquées par la guerre et l'effervescence créatrice. William Boyd, qui a toujours aimé jouer avec les codes du roman, a aimablement répondu à nos questions par courriel.

Quand on commence à lire Les vies multiples d'Amory Clay, on se surprend à chercher les noms des protagonistes sur Google. Celui d'Amory Clay (inexistant sauf lorsqu'on parle de votre livre, comme de nombreux autres personnages prétendument historiques), mais aussi celui de l'écrivain français Jean-Baptiste Charbonneau (qui est en fait un coureur des bois américain mort en 1866...) ou le titre du recueil de photos d'Amory Clay intitulé Vietnam mon amour (qui aurait en fait été produit par un certain Ernst Frey). Ce n'est pas la première fois que vous écrivez la vraie biographie d'un faux personnage: Les nouvelles confessions partait du même procédé. C'est un jeu pour vous?

Mon objectif est toujours que la fiction pure ait l'air absolument réelle. Pour cela, j'en ajoute un peu: j'utilise souvent des formes associées à la non-fiction (autobiographie, biographie, journal intime) et, parfois, je vais plus loin en incluant des personnages réels, des notes de bas de page, un index. Et, bien sûr, comme dans le cas d'Amory Clay, 73 photos en noir et blanc. Quand vous estompez la ligne entre la fiction et les faits, paradoxalement, la fiction devient plus forte - ce qui, fondamentalement, est mon but: je veux montrer le pouvoir du roman, montrer que c'est la meilleure forme d'art pour comprendre la condition humaine.

Qu'est-ce que toutes ces couches apportent au livre? Une histoire simple ne vous suffit pas?

Parfois, une histoire simple me satisfait, mais une des raisons pour lesquelles j'ajoute ces couches est de repousser les limites [«flex the muscles»] de la forme romanesque. Le roman est la forme d'art la plus généreuse et la plus indulgente, vous pouvez faire ce que vous voulez avec elle. D'une certaine manière, je veux montrer tout ce dont le roman est capable - je veux en exploiter toutes les possibilités.

La présence de photos donne au roman un aspect encore plus réaliste. D'où viennent-elles? Vous êtes parti d'elles pour bâtir l'histoire?

D'abord j'ai écrit le roman, ensuite j'ai cherché les photographies. Elles sont toutes anonymes - je ne sais pas qui les a prises, ni qui figure dessus. Ce qu'il y a de merveilleux avec les photos anonymes, c'est qu'on peut leur donner une «nouvelle vie». Quand j'identifie ces gens, quand je donne une date, un contexte, la photo vit de nouveau. Par ailleurs, quelques fois pendant mes recherches, je suis tombé sur des photos - dans des brocantes, sur des sites internet - qui étaient tellement bonnes que j'ai ajusté mon récit pour les incorporer dans le livre.

Saviez-vous dans quels pays vous vouliez emmener votre héroïne en lui faisant traverser la grande Histoire, à travers des anecdotes historiques?

Oui. Le voyage d'Amory se déroule dans des endroits et des époques qui m'intriguaient, des lieux que je voulais voir, des périodes historiques que j'avais envie d'expérimenter à travers ses yeux. Le fascisme en Angleterre dans les années 30; la haute société écossaise dans les années 50, la guerre du Viêtnam, etc. Toutes ces choses me fascinent, alors j'ai fait voyager Amory à travers elles.

Pourquoi une femme photographe? Certaines vraies photographes vous ont-elles inspiré?

D'abord, je voulais simplement raconter une «vie complète» de femme. Mais je devais créer ce personnage - alors je me suis demandé ce qu'elle allait faire comme métier. J'ai commencé à m'intéresser à la photographie il y a quelques années seulement et je sais que, parmi toutes les professions, c'était peut-être la plus égalitaire - même au début du XXe siècle. Donc, faire d'Amory une photographe lui donnait des possibilités que n'avaient pas les femmes de son époque, et même un genre de liberté. Je n'avais pas une photographe en particulier en tête. En faisant mes recherches, j'en ai découvert beaucoup qui étaient fascinantes - mais beaucoup d'entre elles sont à peu près oubliées. J'ai pu repiquer des parties d'elles et de leurs vies pour créer Amory Clay.

Vous avez donné à Amory une vie libre sentimentalement et sexuellement. Pour vous, c'est plausible?

Absolument. En fait, la vie n'a pas changé autant qu'on imagine au cours des 100 dernières années. De nombreuses femmes au début du XXe siècle ont vécu des vies désordonnées et grivoises - aussi désordonnées et grivoises que n'importe quelle vie contemporaine. Vous n'avez qu'à lire des biographies, des journaux intimes, des correspondances ou des mémoires datant de cette période pour vous rendre compte que, sous la surface, les vies pouvaient être menées en totale liberté.

Une vie faite d'erreurs est plus satisfaisante qu'une vie passée sans prendre de risques. C'est la conclusion de votre livre?

Non, je ne dirais pas. Je dirais cependant que plus on essaie de planifier sa vie, plus les choses risquent de ne pas se passer comme on le désire. Nos vies, fondamentalement, sont gouvernées par la chance - la chance et la malchance. Ce sont les deux fondements qui résument l'expérience humaine, sur cette petite planète tournant autour d'une étoile insignifiante.

De James Bond à Amory Clay, les dernières années vous ont mené loin. Quel est le projet sur lequel vous travaillez en ce moment?

Je travaille sur plusieurs choses en même temps - mon prochain livre, mais aussi plusieurs projets cinématographiques et télévisuels. Ce qui m'excite le plus en ce moment est la perspective de ma deuxième pièce de théâtre. Son titre est The Argument et elle sera présentée au Hampstead Theatre de Londres en mars. Nous sommes sur le point de recruter les acteurs. Après le roman, le théâtre est l'expérience la plus satisfaisante pour un auteur, je crois.

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Les vies multiples d'Amory Clay. William Boyd. Traduit par Isabelle Perrin. Seuil, 528 pages.