Dinaw Mengestu s'avance vers notre lieu de rencontre, un café de l'Upper East Side, l'air insouciant, l'allure vestimentaire bourgeois-bohème, calme et serein comme un moine tibétain dans la jungle new-yorkaise. «Il n'y a pas vraiment de raison de quitter New York. Il y a tant à faire, à voir ici!», concède cet auteur, journaliste et professeur de création littéraire au Brooklyn College.

À 37 ans, l'auteur des Belles choses que porte le ciel et de Ce qu'on peut lire dans l'air jouit d'un succès d'estime qui s'est manifesté par une série de prix littéraires et une place au palmarès des 20 meilleurs auteurs de moins de 40 ans du New Yorker, en 2010. Son plus récent livre, Tous nos noms, qui vient d'être traduit en français, a été classé parmi les meilleurs romans de 2014 par le New York Times et The Independent, et est en lice pour le prix Femina dans la catégorie du meilleur roman étranger.

Dans Tous nos noms, Dinaw Mengestu imagine l'histoire en deux temps d'un jeune universitaire ougandais, Isaac, qui s'exile aux États-Unis et laisse derrière lui des souvenirs sanglants de la révolution. Un roman qu'il a construit à partir des bribes d'histoires que lui ont racontées ses parents, d'histoires recueillies lors de reportages en Afrique et de tout ce qui peuple l'espace fictif qui surgit quand s'amalgament tous ces éléments qui proviennent des lectures, des voyages, des expériences...

«Comme j'ai grandi aux États-Unis, je n'ai pas de souvenir personnel des années qui ont suivi l'indépendance», relate Dinaw Mengestu, dont le roman se fonde moins sur l'expérience de la migration que sur la description d'une identité divisée entre deux lieux culturels et géographiques complètement aux antipodes.

L'exil, l'oubli

Tous nos noms se passe donc en partie en Ouganda où Isaac est étudiant, pendant les années d'indépendance où la «révolution de papier» et les promesses d'un avenir meilleur et de la réinvention de soi devenaient soudainement possibles. Des temps postcoloniaux qui ont vu surgir des dictateurs intoxiqués par le culte de la personnalité, à l'instar d'un émule d'Amin Dada que décrit Dinaw Mengestu dans son troisième roman.

«Isaac voulut fêter la première victoire de la révolution de papier. "D'ici peu, tout le campus nous connaîtra, déclara-t-il. Et nous serons célèbres"», écrit Dinaw Mengestu, qui s'est notamment inspiré d'amis d'enfance et aussi de jeunes soldats qu'il a rencontrés au Soudan et au Congo pour imaginer son héros qui quitte l'Éthiopie pour rejoindre la révolution en Ouganda.

«Il y a toute une classe de jeunes, en Afrique, qui est composée de gens dont les aspirations sont déçues, et qui se retrouvent à diverger vers des sentiers violents, parce que les occasions ne se présentent pas.»

Pour le héros, Isaac, l'euphorie de la révolution se transforme en répression puis en exil vers les États-Unis. C'est là, dans une petite ville, qu'Isaac l'exilé fait la rencontre d'Helen, une travailleuse sociale avec qui il vit une histoire d'amour fondée sur le désir de comprendre et d'aider l'autre.

«Il s'agit d'une relation intellectuelle, psychologique et émotive», précise Dinaw Mengestu, à propos du rapport qu'il a inventé entre Isaac et cette femme éduquée et pleine d'empathie, mais qui vit distanciée de sa famille qui ne la comprend pas.

«Il y a quelque chose de très optimiste dans le désir d'Helen d'aider. En écrivant sur le processus d'immigration, il m'importait de décrire, d'un côté, les gens qui quittent leur maison et, à l'autre bout, ceux qui sont chez eux. Helen, à mon avis, incarne une personne pour qui les migrants ne sont pas une menace. Elle reconnaît la différence d'Isaac, mais son attitude suggère également qu'on peut comprendre l'autre personne, entrer en relation avec elle et l'aimer.»

En entrant dans un tel sujet, on songe bien entendu à ces temps de migrations massives, alors que notre sens collectif de la compassion et de l'ouverture à l'autre est plus que jamais sollicité. «À l'autre extrême de la trame narrative, il y a Donald Trump, qui, lui, prétend que tous les migrants sont une menace», songe Dinaw Mengestu, qui, chaque année, retourne en Afrique pour prendre le pouls de sa terre natale.

Lui qui, avec sa famille, a quitté l'Éthiopie à l'âge de 2 ans pour s'installer aux États-Unis s'abreuve de ses fréquents voyages journalistiques pour enrichir sa conscience africaine. Son oeuvre rappelle au monde comment le continent africain de la période postindépendance a été un lieu de formidable bouillonnement intellectuel.

«Juste après les années d'indépendance, personne ne songeait à migrer vers l'ouest. Il n'y avait qu'à bouger à l'intérieur du continent si on souhaitait quelque chose de mieux», explique celui qui, dans ses fréquents déplacements, continue d'observer ce «désespoir radical» chez les mouvements politiques africains.

«Avant de voyager en Afrique, je ne pouvais pas vraiment utiliser mon expérience. C'est seulement en entendant des histoires et en lisant des livres que j'ai pu imaginer un endroit dans ma fiction», dit l'auteur, qui travaille ces jours-ci sur un essai qui porte sur la République centrafricaine.

Occupé par la vie frénétique new-yorkaise, sa vie familiale, son poste de professeur, Dinaw Mengestu esquisse lentement les bases de son prochain roman, mais n'en révèle pas trop. «D'abord parce que je suis superstitieux!», lâche ce membre de la célébrée cohorte des auteurs «afropolitains», avec son ami Teju Cole, Chimamanda Ngozi Adichie, NoViolet Bulawayo...

À propos de la «vogue» de la littérature africaine, Dinaw Mengestu fait preuve de prudence. «Il y a en effet une nouvelle génération d'auteurs qui émergent et écrivent sur l'Afrique. Quand j'ai publié mon premier roman, un ami m'a invité à ne pas avoir trop d'attentes parce que, selon lui, personne ne voulait lire sur l'Afrique. Ce n'est pas de la malice, en réalité, je pense que les gens veulent juste lire une bonne histoire!»

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Tous nos noms. Dinaw Mengestu. Albin Michel, 336 pages.