Rédacteur en chef de la revue Liberté, Pierre Lefebvre publie un essai dans lequel il expose son rapport à l'argent et au travail. Une charge ludique et féroce qui, au bout du compte, met au jour les valeurs de notre société.

«Je n'ai jamais rien compris à la valeur de l'argent», écrit Pierre Lefebvre, au tout début de ses Confessions d'un cassé. Puisque l'argent est «le grand médiateur» dans notre société - ainsi qu'un symbole de réussite et un outil de pouvoir -, le dramaturge et rédacteur en chef de la revue Liberté s'y sent un peu étranger.

«Je n'arrive pas à prendre au sérieux le monde dans lequel on vit, dit-il. Ce qu'on nous propose comme réussite sociale ou comme projet de vie dans la société, je trouve ça niaiseux.» D'où la citation de Marvina Reynolds (l'auteure de Little Boxes, popularisée par Pete Seeger) placée en exergue du livre: I don't mind failing in this world («Je me fiche d'échouer dans ce monde»).

Chacune des sept «confessions» que compte le recueil est coiffée d'un titre qui ne déparerait pas une fable: «Le pauvre et le déserteur», «Le chameau et le chas», «La mouche et l'araignée»... Pierre Lefebvre, il faut l'admettre, a de la suite dans les idées. En plus de faire des clins d'oeil lettrés à Balzac et à Homère, à Star Trek et aux films de zombies, il appuie aussi certaines de ses réflexions sur des fables de La Fontaine.

Ainsi, le début de «Le loup et l'agneau» («La raison du plus fort est toujours la meilleure») sert de point d'ancrage à un récit assez divertissant récit qui relate sa lutte contre un propriétaire immobilier (joliment surnommé «Quelque Chose Inc.») désireux de l'évincer pour rénover et revendre son appartement à profit. Sa mésaventure prend une tout autre dimension lorsqu'on songe au marché immobilier des dernières années et à l'embourgeoisement de différents quartiers de Montréal.

Pas vraiment un agneau

«Comme beaucoup de gens, j'ai pas mal toujours été à la pige, alors je me suis rendu compte que peu importe si on était en récession ou en reprise, pour un certain nombre de gens, ça ne change pas grand-chose, dit Pierre Lefebvre, qui ne se classe évidemment pas du côté des loups capitalistes. On est tellement au fond que les fluctuations de l'économie ne nous touchent pas.»

Ce qui ne veut pas dire qu'il se sent comme un agneau. Enfin, pas tout à fait. Sur le plan intellectuel, il fait plutôt penser à un agneau sur lequel aurait poussé de la laine d'acier. Son ton léger, son humour faussement naïf, son ironie pleine d'esprit s'avèrent ses armes de choix pour mordre, ou du moins mordiller les pattes du loup.

Il détourne habilement le langage du monde du travail, souligne la violence des mesures d'austérité, incite à prendre la mesure d'un mode de vie outrageusement néfaste non seulement pour la planète, mais aussi pour des millions de nos semblables qui «fabriquent nos bébelles pas cher» à l'autre bout du monde dans des conditions qu'on ne voudrait pas pour soi ni les siens.

Pierre Lefebvre répète qu'il ne méprise pas les choix de consommation de ses concitoyens. Il ne plaide même pas pour la simplicité volontaire. Il ne fait qu'opposer au discours économique dominant sa propre vision des choses. «Quand je regarde une chemise ou une télé, je ne me demande pas combien ça coûte, je me demande combien de temps je vais me faire chier à travailler pour l'obtenir», explique-t-il. Peu d'objets, on s'en doute, passent le test.

Ni une fourmi

On l'aura compris: si Pierre Lefebvre n'est ni un loup ni un agneau, il n'est pas non plus une fourmi. Il avoue d'ailleurs avoir volé à peu près tous ses employeurs - un kiwi par-ci, un livre par là, jamais d'argent. Lui, il a plutôt un karma de cigale. «Je n'ai jamais pu m'habituer à mon statut de ressource humaine», écrit-il. À salaire minimum, il est fier d'avoir toujours travaillé «minimum»...

«L'idée que le travail soit un vecteur de développement social, tout comme d'épanouissement personnel, me semble grotesque», écrit-il, en se rappelant une campagne électorale où le clan Sarkozy clamait que «le travail, c'est la liberté». Ce slogan lui a rappelé que d'autres avant eux avaient songé à la même formule: «Ils l'avaient fait forger en lettres de fer, rien de moins, puis hisser au-dessus de deux portails, soit ceux qu'on retrouvait à l'entrée des camps d'Auschwitz et Dachau.»

Page après page, en utilisant ses propres expériences pour illustrer son propos, Pierre Lefebvre rappelle aussi que si, au Québec, il n'est pas bien vu de parler de l'argent qu'on a, il n'est pas bien vu non plus de faire savoir qu'on en a peu ou pas. «Il n'y a pas de gloriole à être pauvre, mais ça me fait chier qu'il y en ait une à être riche.»

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Confessions d'un cassé. Pierre Lefebvre. Boréal, 160 pages.