Depuis sept ans, François Busnel anime La grande librairie à heure de grande écoute le jeudi à la chaîne publique France 5, une émission diffusée aussi ici à TV5.

Considéré par plusieurs comme un descendant de Bernard Pivot et de Jacques Chancel, ce mordu de littérature propose une émission littéraire «classique» réunissant chaque semaine autour d'une table à café des auteurs simplement venus parler de leur travail.

Nous avons rencontré François Busnel la semaine dernière alors qu'il était de passage à Montréal, pour une discussion sympathique sur le pouvoir de la littérature et son rôle de passeur.

Bernard Pivot

«Bernard Pivot fait bien sûr partie de mes inspirations, dit François Busnel au sujet du légendaire animateur d'Apostrophes. Son grand apport est qu'il s'adressait non seulement aux grands lecteurs, mais aussi à ceux qui n'étaient pas acquis à la culture. Son enthousiasme donnait envie de découvrir d'autres mondes, c'est l'effet qu'il avait sur moi en tout cas. Et si La grande librairie est différente d'Apostrophes, je partage avec lui cette envie qu'aucun spectateur ne se sente exclu par ce qui se passe. Le journaliste est là comme un découvreur, et non pour se faire valoir. Il met en valeur les autres, pour qu'éventuellement le spectateur se transforme en lecteur. Car c'est notre principal objectif: faire lire les gens.»

La grande librairie

François Busnel rappelle que les codes de la télé ont changé depuis l'époque d'Apostrophes. «Il y a plus de chaînes, et tout fonctionne au buzz ou au clash. Tout y est très basique.» Faire une émission littéraire dans ce contexte, c'est comme «remonter le Saint-Laurent en période des glaces», pense-t-il. Mais il aime bien l'idée de prendre l'époque à contre-pied en mettant de l'avant la réflexion - chaque invité dispose de 15 minutes de temps d'antenne. En proposant cette émission «vintage», il croit répondre à une quête de sens en disant aux gens que chez lui, «il ne se passera peut-être pas grand-chose, mais qu'il se passera autre chose» dont le spectateur se souviendra. «Le cours de la conversation pourra l'émouvoir ou l'emmener vers des horizons insoupçonnés. Et surtout, il pourra y prendre du plaisir.»

Le livre qui a changé votre vie

La grande librairie attire entre 400 000 et 500 000 spectateurs par semaine. Son plus grand succès d'écoute aura été cependant une émission spéciale de deux heures intitulée Les 20 livres qui ont changé votre vie, à l'automne 2014, avec 1 million de cote d'écoute. Des milliers de personnes ont répondu à la question de l'animateur, et les résultats ont été dévoilés et commentés ce soir-là par un panel d'invités. «Un bon livre, c'est un livre qui vous transforme, même un petit peu, même infiniment. La fiction a le pouvoir de changer une vie.» Quel livre a eu cet impact sur lui? «Il y en a plusieurs, mais je dirais que c'est Cyrano de Bergerac, que j'ai lu vers 17-18 ans. La tirade des «Non merci» m'a montré qu'on pouvait décider de vivre sa vie sans compromission. J'ai appris à me construire à partir de cet idéal de liberté.»

Le débusqueur de talent

Comme La grande librairie fonctionne par «affinités électives», François Busnel, qui lit entre quatre et huit livres par semaine, ne reçoit que des auteurs dont il a aimé le travail. «Je ne peux être convaincant que si je suis convaincu.» Mais il estime que nous vivons dans une période de créativité intense, et il n'est pas du genre à dire que «c'était mieux avant». «Ça en dit plus sur ceux qui disent ça que sur la réalité, lance-t-il. Il y a plein d'écrivains exceptionnels, il faut seulement les chercher et les trouver. Je ne veux pas attendre 30 ans que Modiano ait reçu le Nobel pour finir par trouver ça bon, ou que Houellbecq remporte le Goncourt avant de l'inviter à mon émission. Je veux l'inviter lors de la sortie de son premier roman. Je ne veux pas suivre les buzz... Je préfère les créer!»

La folie des prix

L'automne est la folle saison des prix littéraires en France, mais François Busnel ne s'y fie pas trop. «Je suis content si un auteur que j'aime remporte un prix, ça confirme mes coups de coeur. Mais je n'ai pas attendu que Lydie Savayre gagne le Goncourt l'an dernier pour l'inviter à mon émission, par exemple: elle était sur mon plateau dès le mois d'août tellement j'avais aimé son livre.» Et puis, ajoute-t-il, il subsiste toujours un doute à propos des jeux de pouvoir entourant les prix. «Je préfère de loin me fier aux libraires. Le libraire est notre ami; le juré, on ne sait jamais trop quelles influences il a subies...», dit l'animateur qui adore d'ailleurs faire la tournée des librairies et suivre les suggestions des libraires, «toujours excellentes».

Le livre de la rentrée

Dans le foisonnement de la rentrée littéraire française, on en profite pour demander à François Busnel quels sont les romans qu'il ne faut pas rater, selon lui... «C'est difficile, il y en a tellement. Mais il y en a deux que j'ai trouvés vraiment saisissants. D'abord 2084 de Boualem Sansal, qui est un genre de fable sur ce que deviendrait notre monde s'il se rebellait face à l'islamisme. C'est beau et fort, l'anti-Soumission de Houellbecq. Et Boussole de Mathias Enard, qui parle de notre rapport à l'Orient. C'est un livre dense qui demande du temps, qui est un peu comme une longue symphonie.»

Carnet de route

Le reporter a réalisé deux grandes séries de reportages ces dernières années, Carnet de route, dans lesquels il est allé à la rencontre des écrivains chez eux, aux États-Unis et au Royaume-Uni. La première série réunit rien de moins que 43 romanciers américains, de Toni Morrison à Richard Ford en passant par Jim Harrison et James Ellroy. «Je crois que la littérature est indissociable du lieu qu'on habite. Mais surtout, je suis fasciné par le mystère de la création, qui est pour moi aussi intrigant que le Big Bang. En allant chez ces auteurs, j'avais vraiment l'impression d'être dans la marmite.» Un autre Carnet de route dans ses cartons? «Pas pour l'instant. C'est beaucoup de travail, vous savez, celui sur les États-Unis m'a demandé deux ans de préparation! Mais oui, j'aimerais en faire un autre, au Canada, en Russie, en Italie... C'est à décider.»