Amateurs de Nestor Burma (célèbre détective privé français inventé par Léo Malet), de boxe et de géopolitique contemporaine - ou tout simplement de bons polars qui vont bien au-delà du «whodunit» classique - place à un nouveau héros: Eddy Barcot, ex-champion de boxe lettré parisien imaginé par l'auteur Stéphane Ledien. Un héros qui n'est pas sans rappeler le Bucky Bleichert de James Ellroy, le Bernie Gunther de Philip Kerr, le Philip Marlowe de Chandler, mais en pas mal moins misogyne, pas mal moins raciste, pas mal moins alcoolo et pas mal plus érudit!

On ne se le cachera pas: Sur ses gardes, troisième livre de Stéphane Ledien, prend un peu de temps à décoller (et abuse du verbe glousser...). Mais une fois qu'il a pris son envol, difficile d'en décrocher. Dans ce qui est le premier tome d'une trilogie baptisée Les phalanges d'Eddy Barcot, on suit justement les tribulations dudit Eddy Barcot, ex-champion poids moyen de France.

Nous sommes en 1999, et Barcot travaille désormais comme gardien de sécurité dans la «grande cité» de Seine-Saint-Denis, parmi les HLM, en banlieue parisienne. Quand sa meilleure amie lui demande de retrouver son jeune frère, petit délinquant intense, Barcot met sans le savoir le doigt, pour ne pas dire le poing, dans un engrenage où les violentes manifestations étudiantes dans le Paris de l'époque, les débuts de l'extrémisme djihadiste, les services secrets et les mouvements racistes français jouent leur part.

«Bien sûr, j'ai eu plusieurs influences, explique Stéphane Ledien, aussi journaliste à Québec, après avoir été concepteur-rédacteur publicitaire en France. J'ai beaucoup été inspiré par le cinéma et la littérature de genre, les films noirs, les romans policiers... Où il y a souvent des boxeurs. Sans doute parce que la figure du boxeur ainsi que tout l'univers pugilistique supposent un certain état mental.

«Le boxeur est toujours dans l'action et la détermination, il cherche toujours quelque chose contre lequel se battre; son état mental est troublé, très agité et combatif, mais doublé aussi d'un certain code moral. Cela en fait une figure intéressante pour un polar à rebondissements.»

Et rebondissements il y aura. Là où le personnage d'Eddy Barcot se distingue, c'est par son sens grandissant de l'autodérision et sa culture: il lit, se passionne pour le cinéma noir, la poésie et la musique de Dean Martin, suit les actualités et s'intéresse à sa propre cité parisienne, où les jeunes - et moins jeunes - sont laissés à eux-mêmes.

«Je me suis demandé si c'était crédible, ce personnage de boxeur qui aime les livres et le cinéma, admet Stéphane Ledien, mais j'ai découvert que le boxeur Oscar De La Hoya [NDLR: un des plus célèbres boxeurs américains, qui a pris sa retraite il y a six ans] était diplômé en architecture. C'était donc possible.»

Et puis surtout, c'est un livre, une fiction, où le probable suffit. Sur ses gardes permet à Ledien de «réinjecter le noble art dans un univers plus urbain». Entendre par là un univers plus contemporain, sur le point de passer au nouveau millénaire, mais juste avant l'omniprésence de la technologie actuelle.

Roman noir et noir

Ce roman, Ledien l'avait dans ses bagages depuis la fin des années 90: «Dans la première version, il était plutôt question d'immigration clandestine, sur fond de manifestations étudiantes. Puis, il y a deux ou trois ans, je l'ai réécrit de fond en comble.» Et il lui a injecté de nouveaux enjeux, qui annoncent l'attentat du World Trade Center, la montée de l'islamisme et du terrorisme de tout acabit.

«Je crois aussi que le 11 septembre 2001 nous a obligés à repenser le journalisme, dit Stéphane Ledien, Parisien installé à Cap-Rouge depuis quelques années. Je pense par exemple à un journaliste comme Samuel Laurent, un peu trouble, mais qui a effectivement réussi à infiltrer certains réseaux; on a assisté à l'émergence de "nouveaux observateurs", si je puis dire.»

Dans la deuxième partie de Sur ses gardes , apparaît d'ailleurs une de ces figures médiatiques à la fois raillées et admirées (qui «citera» d'ailleurs... du Louis Hamelin!), qui ont sonné l'alarme dès la fin des années 90. «J'aimais bien le décalage temporel, le fait d'écrire sur une période survenue il y a 15, 16 ans à peine, mais pourtant fort différente d'aujourd'hui», explique l'auteur, féru lui-même de cinéma noir, de blues et de géopolitique.

«D'ailleurs, dans le prochain tome de la trilogie, conclut-il, Eddy continuera d'être à la fois conscient du monde, mais toujours un peu décalé, avec des idéaux un peu conservateurs, et pas très branché, sans téléphone cellulaire. Un peu comme dans le film Le privé de Robert Altman (1973), où on suivait un détective à l'esprit plutôt années 50 qui déambulait pourtant dans les "seventies" très hippies. J'aime ce décalage-là, qui fait encore plus ressortir le côté hors pair du personnage.»

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Sur ses gardes - Les phalanges d'Eddy Barcot Stéphane LedienÀ l'étage, 286 pages.