Il y a deux ans, le journaliste Hugo Meunier a travaillé incognito pendant trois mois au Walmart de Saint-Léonard aux fins d'un reportage dans La Presse. Il a tiré de cette expérience un livre passionnant et instructif, Journal d'un associé, fruit de ses réflexions, observations et rencontres. Mais s'il y montre la multinationale américaine telle qu'elle est, son livre se veut surtout un hommage à ceux qui travaillent au bas de l'échelle.

«Pour qu'un monde commun soit, il faut savoir se mettre à la place des autres», écris-tu en guise d'épilogue. C'est ta manière de fonctionner?

Cette phrase résume bien cette expérience, et aussi ce que je veux faire en journalisme. Il y a plein de gens qui sont obligés de travailler chez Walmart, c'est leur vie, leur gagne-pain. Moi j'ai eu la chance de l'expérimenter et je m'étais dit que je n'oublierais jamais ça. Mais je trouve que je me suis réembourgeoisé vite, j'ai de la misère à me rappeler dans quel état d'esprit j'étais.

Ce journal, tu l'as tenu pendant que tu travaillais?

Oui, je l'écrivais dans ma tête tous les jours, puis je rédigeais le soir chez moi, ou le midi pendant mes pauses. Ça m'a servi énormément pour le livre, même si je l'ai beaucoup remanié.

En te lisant, on sent ton exaspération qui monte, la fatigue physique et même psychologique.

C'est vrai que ma frustration augmentait. Au début, c'était juste le jeu du journaliste infiltré. Je ne pensais pas que je m'impliquerais autant. Ça finit par te rentrer dedans, toutes les frustrations de tout le monde autour de toi. Il n'y a pas tant de monde heureux et passionné qui travaille là. À la fin, je n'étais plus un journaliste, j'étais le gars fâché des produits laitiers qui avait vu ses heures passer de 40 à 21, en plein temps des Fêtes.

Horaires changeants, formations bidon, clients qui engueulent le personnel, party de Noël déprimant: tu aurais pu parler de tous ces détails si tu n'avais pas été sur place?

Non. La meilleure façon de comprendre comment ça marche, c'est de faire partie de la gang. J'aurais pu faire des entrevues lorsqu'ils sortaient du travail, mais je n'aurais jamais pu comprendre ce qu'ils vivent, saisir l'atmosphère.

Trois mois, c'est long...

Oui mais je serais gêné de faire pitié. C'est encore mon malaise: j'ai fait un livre sur trois mois chez Walmart, il y en a qui sont là depuis 15 ans et ils ne sont pas en train d'écrire de livre. Pourtant, leur histoire est hautement plus intéressante. Mais oui, trois mois, c'est long journalistiquement.

Qu'est-ce que tu as pu faire dans le livre que tu n'as pas fait dans le reportage?

Ce que je voulais faire à la base: raconter la vie au bas de l'échelle, faire une chronique de la vie ordinaire. C'est plus sociologique comme approche. Ce n'était pas un reportage-choc, mais plus une collection d'anecdotes, la vie de tous les jours de tellement de monde de qui on n'entend jamais parler. J'aurais pu faire ça au Couche-Tard ou au McDo, mais Walmart, c'est aussi un symbole.

Tous ces gens que tu as côtoyés, ils ont pensé quoi de ton reportage?

Ils ont adoré et c'est ma meilleure récompense. Je sais que c'est cliché, mais si les employés de Walmart avaient trouvé que mon reportage, c'était n'importe quoi, ça aurait été grosse déception.

Les patrons pour qui tu as travaillé, ils se sont sentis trahis?

J'imagine. Et je m'en veux encore. Je m'entendais bien avec un de mes patrons, un gars de mon âge, super fin. Il a dû se sentir trahi, et j'ai tout fait pour le retrouver. Je voulais le voir pour lui dire qu'il n'y avait rien de personnel dans tout ça.

Cette expérience t'a changé?

Je voue un respect éternel à ceux qui travaillent chez Walmart. Et je continue à ne pas acheter là. Je ne pense pas changer grand-chose à leur sort avec ce livre, mais peut-être fera-t-il réfléchir un peu? J'espère que des clients le liront et qu'ils cesseront de prendre les employés comme des punching bags. Tout le monde devrait travailler juste une semaine chez Walmart: ça permet de relativiser quand on se plaint de notre travail.

Pourquoi as-tu choisi de parler aussi du Walmart de Jonquière?

Écrire sur Walmart sans parler de Jonquière, ça aurait été comme écrire sur le Titanic sans faire couler le bateau... C'est la plus grosse tache sur Walmart dans le monde et ça s'est passé ici. J'ai décidé de donner la parole aux deux acteurs principaux, qui ont été marqués au fer rouge par cette histoire. C'est leur point de vue, pas celui de Walmart. Ce livre, de toute façon, c'est d'un bout à l'autre le point de vue des employés.

Même si ce n'est pas le but du livre, tu tenais quand même à montrer l'écart entre les profits de l'entreprise et les salaires des employés?

C'est de l'indécence, ce fossé! Surtout qu'il y a une telle pression pour toujours faire plus de profit dans chaque succursale, à presser le citron des employés qui travaillent déjà tellement fort! Par exemple, on nous avait demandé d'aller porter notre manteau au vestiaire avant de puncher, sinon c'était du «temps volé»... J'ai calculé, ça représentait un gros huit secondes!

Quelles sont les qualités d'un bon «infiltrateur»?

Être capable de se fondre dans n'importe quelle personne. Ne pas juger, sinon tu as l'air fake. Être sociable aussi. Et être travaillant - dans ce cas-là, ç'a été très bon pour moi, j'ai perdu beaucoup de poids! Ne pas avoir de préjugés aussi et être un peu maso!

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Walmart - Journal d'un associé. Hugo Meunier. Lux. 186 pages.