Son neuvième roman est dans la tête d'Elena Botchorichvili. Chut! Il y reste pour le moment. Le huitième vient de paraître en Russie. Celui qui nous occupe, le septième donc, Belle vie, est publié aux éditions Naïve. Il raconte une amitié aussi belle qu'improbable entre un vieux chanteur russe et un jeune fermier niçois. Une alliance solide, marquée par la mémoire, ce bagage de toute une vie. Tout cela en 95 pages. «La vie est imprévisible», dit Elena Botchorichvili. Sa vie à elle ne tiendrait jamais en si peu d'espace. Jamais en 95 ans!

AMITIÉ

Belle vie parle d'un vieil homme qui va mourir, M. Kisseleff, transportant une tonne de souvenirs, et d'un jeune, Philippe, qui veut vivre, mais ne sait pas trop comment. 

«Généralement, le malheur, ça unit, dit la romancière. Je soupçonne que l'orientation sexuelle de M. Kisseleff n'est pas la même que celle de Philippe, mais ça ne change rien à leur amitié. Nous lisons trop Freud et Jung. Ça n'explique pas tout dans la vie. M. Kisseleff a perdu sa voix de chanteur, il est seul et il souffre. Sa vie est celle d'un bourreau de travail. Philippe est un garçon innocent qui n'a aucune culture. Sa mère, qui est morte, lui manque. Il a la possibilité de rencontrer cet homme très intéressant, avec sa nostalgie. »

BRIÈVETÉ

Phrases et chapitres courts, mots imagés. Sa traductrice italienne a qualifié son style de steno romanzo (roman sténographique). 

«J'ai toujours écrit comme ça. Dans mon huitième roman, qui vient d'être publié en Russie, j'ai essayé d'écrire un long roman. Dans plusieurs pays, on me disait que mes romans étaient trop courts. La littérature, ce n'est pas des patates ou des carottes, mais ils m'ont fait penser que je n'étais pas capable d'écrire plus long, alors je l'ai fait. Il est déjà en lice pour un prix. Finalement, je n'ai pas trouvé de différence entre écrire court ou long.»

JOURNALISTE

Ancienne journaliste sportive, elle affirme que ce métier n'a eu aucune influence sur son style. 

«Quand j'écris, je dois tuer la journaliste en moi. Bien sûr, ça me dérange, ce qui se passe en Russie, Poutine, la Crimée... mais je sais que je dois m'abstenir de mettre mes propres idées. La littérature, c'est à propos de quelque chose de plus élevé. Comme journaliste, on est un oiseau attaché à une chaise. On ne peut pas voler trop loin. En littérature, oui.»

RUSSIE

Elena Botchorichvili est une Canadienne née en Géorgie, écrivant en russe. Elle reste attachée à son pays d'origine.

«J'aime mon pays. J'y ai de bons souvenirs. Je ne l'ai pas quitté par plaisir, mais parce que c'était impossible de rester. J'y ai été forcée et je ne suis pas la seule. La Géorgie compte cinq millions d'habitants et la diaspora géorgienne, un million de personnes. On est forcés de partir et on attend qu'un jour il y ait des excuses. Ce n'est pas encore arrivé, ni de la part de la Géorgie, ni de la part de la Russie.»

MONTRÉAL

Elle a publié cinq romans chez Boréal. Elle vit à Montréal depuis 1992 avec son mari et son fils. 

«Mon huitième roman se déroule à Montréal. Je voulais écrire sur Montréal, mais c'est quelque chose qui ne se commande pas. La difficulté d'écrire, ce n'est pas la ville, mais comment le faire. Je garde longtemps l'histoire et les personnages dans ma tête. J'imagine que je suis devant un long mur blanc. Il se passe des choses derrière le mur et il y a une porte que je tiens. Quand je suis prête, j'ouvre la porte et je décide qui entre et avec quels bagages. Comme de pauvres immigrants.»

VOLGOGRAD

Trois jours de festivités autour de l'oeuvre de l'écrivaine montréalaise ont eu lieu cette semaine à Volgograd, anciennement Stalingrad. 

«Imaginez, dit-elle avec les yeux d'une enfant comblée, je vais parler avec des lecteurs russes à l'aide de Skype. Ils sont très importants pour moi, même si je ne crois pas que je peux rejoindre un très grand public. Je trouve ça merveilleux de pouvoir échanger avec des lecteurs, peu importe où ils sont. En Russie, les critiques sont déjà bonnes.»

LA VACHE!

La création littéraire peut se heurter aux limites de la vraisemblance. Reste que la réalité dépasse parfois la fiction.

«Bernard Kreise, qui me traduit en français, est un grand traducteur, un homme très sérieux et rigoureux. Le livre était écrit quand il m'a dit qu'il n'y avait pas, comme dans le roman, de vaches à Nice. Il m'a demandé de changer les vaches pour des chèvres. C'est un débat qui a duré pendant des mois. J'ai fait des recherches et j'ai trouvé une photo d'une vache qui était morte dans un ravin près de Nice. Il m'a répondu que ce n'était qu'une vache folle puisqu'elle s'était perdue dans la forêt. Je suis allé le voir en Provence. Lors d'une promenade en voiture, tout d'un coup sur la route, une centaine de vaches sont apparues. Sérieux comme toujours, il m'a dit: "Ce sont des vaches, je vous dois une bouteille de champagne."» 

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Elena Botchorichvili. Belle vie. Traduit du russe par Bernard Kreise. Naïve, 95 pages.