C'est un récit assez bref, rentre-dedans, hilarant bien que pas très drôle a priori: Les mots qu'on ne me dit pas relate l'enfance et l'adolescence de la Française Véronique Poulain, née «entendante» de parents sourds, dans les années 60. Un sujet qui fait parler, une écriture qui fait entendre. Et rire aux éclats! L'auteure sera au Salon du livre.

Après avoir lu son récit, on ne peut pas dire de Véronique Poulain qu'elle est «l'enfant du silence»: les gens qui sont sourds comme le sont ses parents, y explique-t-elle, font beaucoup de bruit quand ils mangent, font l'amour, pètent, etc., justement parce qu'ils n'entendent rien.

Dit comme ça, c'est un point de vue, euh, rafraîchissant. Mais écrit comme l'écrit Véronique Poulain, c'est carrément fascinant: avec son écriture lapidaire, doublée d'un incroyable sens du punch, l'auteure «ouvre les yeux» des entendants sur la vie quotidienne des sourds et leurs proches non sourds.

Notamment sur leur incroyable isolement culturel: dans les années 70, un mot comme «psychologie» n'existe tout simplement pas dans la langue des signes française. «Vous réalisez à quel point ils étaient coupés de tout, les sourds, en France, à l'époque?», lance Véronique Poulain, au bout du fil.

Silence, elle écrit

Les parents de Véronique Poulain sont sourds, pas elle; son oncle et sa tante aussi sont sourds, pas leurs trois enfants. C'est donc sa vie et celle de sa famille qu'elle raconte dans cette série de vignettes littéraires, où les mots ont autant d'importance que leur disposition sur la page. Ou le blanc laissé sur la page. C'est la place du silence...

Le livre s'ouvre ainsi sur trois lignes laconiques: «Mes parents sont sourds. Sourds-muets. Moi pas.» Et on tourne la page. Pour lire un peu plus loin: «La nuit, je ne pleure jamais. Ça ne sert à rien [...] mes parents ne m'entendent pas.»

«Ma façon d'écrire vient de mon éducation, explique Véronique Poulain en entrevue depuis Paris. Ma langue maternelle étant la langue des signes, je suis complètement pétrie de cela, et mon écriture est donc aussi directe, presque brutale, que l'est la langue des signes.»

«Je ne décrirai jamais pendant quatre pages le papier peint du salon, ce n'est pas possible!»

Comme le raconte son livre, reçu avec enthousiasme en Europe: «Dans la langue de mes parents, il n'y a pas de métaphores, pas d'articles, pas de conjugaison, pas de proverbes, maximes, dictons. [...] Pas de sous-entendus. Déjà qu'ils n'entendent pas, comment voulez-vous qu'ils sous-entendent?»

Pas de sous-entendus donc, ni d'atermoiements, mais beaucoup d'humour dans ce récit: «Le message du livre, explique Mme Poulain, c'est que, non, ce n'est pas un "drame de la misère" d'être avec des parents sourds, il y a des trucs bien et des trucs moins bien et voilà tout. Tous les enfants de sourds ne le vivent pas comme ça, remarquez. Mais c'est vrai que dans ma famille, on a rigolé de tout ça, ç'a été une réaction collective, qui ne m'a plus lâchée après», explique celle qui est notamment l'assistante de l'humoriste Guy Bedos depuis 1998.

«Très tôt, reprend-elle, j'ai demandé à écrire et lire afin d'établir un lien avec mes parents. Et ils m'ont beaucoup filmée, petite. Tout cela m'a aidée pour le livre, où j'ai voulu ne mettre que des faits, aucune psycho: un lecteur a ainsi l'impression d'entrer chez nous et de voir la scène».

Comment les parents de Véronique Poulain ont-ils réagi? «Mon père m'a envoyé un texto pour me dire qu'il était fier de moi. Ma mère, elle, a compris ce que j'ai vécu. Alors qu'on n'en avait jamais parlé avant.» Et vos enfants de 19 et 16 ans? «La meilleure éducation, c'est l'exemple. Mes parents [à l'origine cordonnier et couturière] m'ont montré qu'on pouvait tout plaquer pour travailler avec les sourds, développer des cours, des dictionnaires... Moi, je viens de montrer à mes enfants qu'on pouvait, à 50 ans, sortir un livre, alors qu'on est secrétaire depuis toujours!», conclut Mme Poulain, qui travaille à l'adaptation théâtrale de son livre et en rédige un deuxième.

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Véronique Poulain sera au Salon du livre au stand des éditions Stock (132) vendredi, samedi et dimanche.

Les mots qu'on ne me dit pas. Véronique Poulain. Stock. 144 pages.