Le romancier britannique Ken Follett est en ville pour le Salon du livre de Montréal, où il présente le dernier tome de sa trilogie Le Siècle. Aux portes de l'éternité s'ajoute à ses 29 autres romans, publiés dans 80 pays, traduits dans 33 langues, vendus à plus de 150 millions d'exemplaires. Au Québec? Les ventes des deux premiers tomes du Siècle atteignent les 100 000 exemplaires, sans compter les ventes en format de poche. Échange - en français! - avec l'Alexandre Dumas de notre ère!

Q: Était-ce plus difficile d'écrire le troisième tome, qui se déroule de 1961 à 1989 et raconte la guerre froide, que les deux premiers, qui couvraient la Première Guerre mondiale (La chute des géants) et la Seconde Guerre (L'hiver du monde)?

R: Écrire sur une période récente suppose qu'on vérifie beaucoup plus de choses. Par exemple, dans le premier tome, je pouvais imaginer que le premier ministre de Grande-Bretagne soit allé à Birmingham un jour, car personne ne sait s'il l'a fait ou non! Mais on ne peut absolument pas faire ça avec le président Kennedy, on connaît assez précisément son emploi du temps! Mais ce que j'ai noté, pour ce troisième tome, c'est que certains des lecteurs qui n'avaient eu aucun problème de point de vue politique avec les deux premiers tomes m'ont cette fois envoyé des messages me disant: «Ah bon! vous êtes de gauche.» Pourquoi? Parce que certains Américains croient fermement que c'est Reagan qui a tué le communisme. Or, j'ai fait des tas de recherches, et absolument rien ne démontre cela. Je suis le premier à le regretter, car cela aurait eu un grand potentiel dramatique pour le roman. Mais Reagan n'a rien changé à l'Histoire.

Q: Est-ce parce que vous êtes britannique que vous pouvez aussi «réhabiliter», par exemple, Richard Nixon ou Nikita Khrouchtchev, ce que ne pourrait peut-être pas faire un auteur américain ou russe aujourd'hui?

R: En tout cas, c'est peut-être ce qui explique que j'ai autant de lecteurs de l'étranger... Pour les recherches avant la rédaction du Siècle, j'ai engagé plusieurs conseillers, dont un qui a travaillé à la Maison-Blanche sous Nixon et même aidé Nixon à écrire ses mémoires. À l'époque, comme tout le monde, j'ai dé-tes-té Nixon! Sauf que ce conseiller m'a démontré, preuves à l'appui, que Nixon a été le président qui a véritablement appliqué les lois antiségrégation, mis fin au conflit au Viêtnam, créé l'Agence de protection de l'environnement - c'était la première du genre au monde! - et il est même allé en Chine, ce qui a changé la face du monde, à ce moment-là. Tout ça, c'est bon pour le roman, parce que c'est inattendu et surprenant pour le lecteur!

Q: Est-ce pour cela que les femmes occupent de plus en plus de place dans la trilogie?

R: Non, c'est parce que je crois que le plus grand changement survenu au XXe siècle, c'est le changement du statut des femmes. Cela a touché toutes les personnes, dans toutes les sphères: sociale, économique, privée, etc. Les technologies ont changé beaucoup de choses, mais jamais autant que les femmes. Moi, dans les années 60, j'avais 19-20 ans, ce n'était pas difficile à accepter: on aime le changement quand on est jeune! Mais pour mon père, ç'a été tout simplement impossible. Jamais ma mère n'a pu signer un chèque...

Q: Pourquoi faire une grande place au rock dans Aux portes de l'éternité?

R: Dans les deux premiers tomes, le rôle politique de l'Angleterre est déterminant pour l'histoire du monde... Ce n'est plus vrai en 1960. Alors, je me suis demandé ce que mes personnages londoniens allaient pouvoir faire. Qu'est-ce que nous avons fait, nous Britanniques, à l'époque? Eh bien, nous avons fait les Beatles, le Swinging London, la mode! Et la musique a toujours été importante en politique. Que ce soit l'hymne antiségrégationniste We Shall Overcome ou l'interdiction du rock en URSS. Je crois que bien des jeunes Soviétiques auraient accepté les problèmes économiques du Bloc, mais qu'on leur interdise le rock, ça, ça n'a pas passé!

Q: Pourrait-on dire d'Aux portes de l'éternité qu'il s'articule autour de deux murs: un mur visible, le mur de Berlin, et un mur invisible, celui de la ségrégation raciale aux États-Unis?

R: Je n'y avais pas pensé en ces termes, mais l'image est juste. On peut juger qu'il y a de grandes différences entre les deux «murs», mais c'est le même thème fondamental: la liberté. Je ne savais pas, il y a sept ans, que le grand thème de ma trilogie Le Siècle serait la liberté. C'est quelque chose qui a poussé pendant le travail...

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Ken Follett sera en entrevue publique (en français) au Salon du livre ce soir, à 17h (Place Confort TD) et en séance de signature à 17h30, au stand 531.