Margaret Atwood était en lice pour le plus récent prix Médicis en langue étrangère - remis mercredi dernier à l'Australienne Lily Brett - avec le chapitre final, MaddAddam, de sa trilogie futuriste incluant Le Dernier Homme et Le Temps du déluge. Une saga apocalyptique, une histoire de l'Histoire et des destins individuels de survivants, humains et hybrides, tentant de se refaire un monde. Mais après le Arthur C. Clarke et le Booker, ce ne sont pas les prix qui font courir la grande dame de la littérature canadienne. C'est l'avenir de la planète qui la préoccupe. Avec, quand même, l'espoir au coeur.

Les trois volumes de votre trilogie, dont MaddAddam, ne sont pas des romans de science-fiction comme telle. En français, on dirait probablement anticipation. Est-ce que ce mot vous convient?

Oui, la langue française est beaucoup plus utile pour faire la différence entre la «fiction spéculative» et la science-fiction comme telle. Les francophones comprennent facilement qu'il s'agit de deux genres différents de livres puisque l'arrière-arrière-grand-père des romans d'anticipation est Jules Verne.

Le lecteur a l'impression que le récit pourrait, à peu de choses près, se dérouler de nos jours. Vous basez votre écriture sur la vraisemblance des émotions et des situations, non?

Trop souvent dans cette forme narrative, les personnages sont utilisés uniquement comme support à idées. Comme toujours, je préfère vivre les expériences à partir de personnages victimes des circonstances et qui essaient de s'en sortir comme nous le ferions à leur place. Les gens ne cessent pas d'être eux-mêmes parce que les circonstances ont changé, même s'ils apprennent (comme nous) qu'il y a d'autres choses que les circonstances et qu'elles sont souvent plus sombres que prévu.

Le livre parle beaucoup d'oralité, de l'importance des histoires et des façons de les raconter. L'être humain aimait déjà les histoires dans la préhistoire. Est-ce que vous croyez qu'il s'agit d'un besoin essentiel?

Je crois, et je ne suis pas la seule, que la capacité et le goût narratifs sont ancrés depuis très longtemps en nous. Les enfants d'un an peuvent suivre un récit et ils racontent des histoires dès qu'ils apprennent à parler. Chacun de nous est un créateur d'histoire - l'histoire de notre vie -, et nous éditons toujours nos propres histoires. On ajoute, on construit, on réinterprète. Nous racontons aussi l'histoire du «nous», celle de la guerre de Troie, de la fondation de Rome ou des rois de France en les éditant aussi. D'où venons-nous? Où allons-nous? Toutes les cultures font la même chose.

Les enfants de Crake, ou Crakers, sont des êtres créés en laboratoire, mais ils possèdent cette soif de récit également?

Les Crakers, aussi, veulent un récit qui donne un sens à leur existence. Et qui donne un sens aux choses bizarres qu'ils ont vues et qu'ils n'arrivent pas à s'expliquer. Quelqu'un qui a passé du temps avec un enfant de cinq ans comprendra pourquoi les Crakers posent toujours ces questions: «pourquoi, pourquoi, pourquoi?»

Des personnages centraux comme Crake et Adam peuvent être vus comme des dieux. Peut-on imaginer l'humanité sans dieux? Celle qui raconte l'histoire, Toby, se demande d'ailleurs quand les survivants de l'humanité se remettront à inventer de nouvelles lois divines.

À partir du moment où nous avons un langage qui utilise le passé et le futur, nous sommes à la recherche de nos origines. Et tout le monde croit en quelque chose qui n'est pas immédiatement visible, que ce soient les anges, les rayons X, les photons, des esprits bienveillants ou le marché de la bourse. Il semble que ce soit dans notre nature. Alors, l'idée n'est peut-être pas tant de dire aux gens de ne pas croire, mais de remettre en question le bien-fondé de notre système de croyances.

L'une des «croyances» est celle de l'amour. Ici, la force de la relation entre Toby et Zeb. Ça ne se termine pas nécessairement bien. Est-ce pour autant la fin de l'amour, de la foi en l'amour?

Une mort ne représente pas la fin d'une histoire d'amour. Les gens meurent. Ils perdent des gens qu'ils aiment. Ça arrive. Vous ne croiriez pas à l'histoire si je vous disais que tout le monde vit heureux jusqu'à la fin des temps. Pilar est morte aussi et Toby l'aimait. Elle sait que ces choses-là arrivent.

Le roman nous montre que nous commettons les mêmes erreurs, encore et encore. En lisant, on se demande si le destin de l'être humain n'est pas que de souffrir.

Le livre ne tente pas de répondre à cette question, mais les Crakers ne font pas la guerre à la fin. Peut-être qu'eux et leurs descendances hybrides seront différents. Au moins d'une certaine façon et pour un certain temps.

Est-ce que l'adaptation pour l'écran est toujours en cours? Ne craignez-vous pas que des aspects plus philosophiques, politiques ou environnementaux soient évacués de l'adaptation du réalisateur Darren Aronofsky?

Oui, ça va de l'avant. Je n'ai pas de crainte à ce sujet. J'ai rencontré l'équipe à plusieurs reprises et ils ont l'intention de respecter les livres. Darren Aronofsky est très intéressé par le destin de la planète aussi, alors n'ayez crainte!

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MaddAddam. Margaret Atwood. Traduit par Patrick Dusoulier. Robert Laffont, 432 pages.