Superstar du polar et du cinéma, Dennis Lehane est depuis une vingtaine d'années l'auteur le plus emblématique de Boston. Voyous, flics et détectives privés peuplent ses romans, de Gone Baby Gone à Mystic River, qui se passent pour la plupart dans les ruelles glauques et les cafés défraîchis des quartiers populaires du sud de la ville, d'où il est originaire. L'auteur, dont le nouveau roman, Quand vient la nuit, sera en librairie fin novembre, a accepté de répondre à quelques questions sur sa ville natale, dont il est manifestement le principal fan.

Le Boston que vous décrivez n'a rien à voir avec celui des guides touristiques. Qu'est-ce qui caractérise particulièrement la ville, d'après vous?

C'est une ville très intellectuelle, mais aussi très maligne, et ces deux attributs ne vont pas souvent de pair. Elle a un sens de l'histoire étonnant pour une ville qui est aussi jeune que le sont les États-Unis. Elle a de l'«attitude» également. Boston n'est pas un endroit où vivre si vous aimez les gens très polis. Les Bostoniens ne sont pas impressionnés par le charme superficiel. Mais si vous vous révélez utile et loyal, vous vous y ferez des amis pour la vie. Oh, et nous sommes aussi un petit peu fous. Enfin, peut-être un peu plus qu'un petit peu... Et rigolos aussi. Disons que les Bostoniens sont des rigolos salauds fous comme de la m... (Bostonians are batshit crazy funny bastards)! C'est un peu notre marque de commerce.

Vous êtes né à Boston. Qu'est-ce qui y a changé le plus depuis votre enfance? Et qu'est-ce qui n'a pas changé du tout?

La ville était extrêmement tribale à l'époque. Chaque quartier avait une configuration ethnique précise et, si vous n'étiez pas de la race de ce quartier, vous aviez intérêt à ne pas y aller. Cela a changé. C'est aujourd'hui une ville très diversifiée, plus ouverte d'esprit culturellement. Et c'est un changement bienvenu. Ce qui n'a pas changé, c'est que la ville conserve un très fort sens de l'histoire - pour le meilleur et pour le pire - et qu'elle n'est ni patiente ni indulgente envers les gens qui ne comprennent ou ne respectent pas ça.

Votre travail exige que vous voyagiez beaucoup. Qu'est-ce qui vous manque le plus de Boston quand vous n'y êtes pas? Et quand vous y êtes, qu'est-ce qui vous irrite ou vous énerve le plus de votre ville?

L'attitude. Les Bostoniens sont susceptibles (they have a chip on their shoulder). Cela vient probablement d'un complexe d'infériorité par rapport à New York, quoique je n'en sois pas sûr. Mais quelle que soit la raison, c'est là. J'aime cette susceptibilité quand je suis à l'étranger, et elle me manque terriblement. J'ai grandi dans un endroit où vous pouviez dire ce que vous vouliez de nous, mais certainement pas que nous manquions de vie. Ni d'opiniâtreté! Parfois, quand je reviens, j'ai l'impression que tout le monde s'est un peu calmé le pompon ou s'est converti au décaféiné. Mais dans l'ensemble, j'adore ce trait de personnalité.

Boston n'est qu'à six heures de Montréal. Que recommanderiez-vous à un Québécois qui connaît déjà la ville et voudrait sortir des sentiers battus?

Le quartier Jamaica Plain. Personne n'y va à moins de connaître Boston, où il est bien connu. Mais si vous n'y êtes encore jamais allé, ça vaut le coup: bars, restaurants, spectacles, vous pouvez y trouver tout ce que vous voulez. Vous pouvez même faire comme si vous étiez un hipster et l'appeler JP!

Si vous aviez à nommer trois oeuvres ou artistes qui ont vraiment su rendre l'esprit de Boston, quels seraient-ils et pour quelle raison?

Le livre Common Ground (1986, non traduit en français) de J. Anthony Lukas. Le film Monument Ave. réalisé par Ted Demme (1998). Et l'album Sing Loud, Sing Proud (2001) du groupe Dropkick Murphys. Parce que les trois sont sans flafla, intègres et fièrement bostoniens!