Blonde d'entrepreneur en construction: c'est le statut de Laurence, héroïne du nouveau roman de Suzanne Myre. Ayant elle-même été une B.E.C., elle s'est servie de cette expérience pour raconter le parcours d'une femme qui s'enfonce dans une relation bancale pour combler un vide existentiel.

«B.E.C., c'est l'histoire d'une femme en quête d'elle-même qui essaie de trouver un confort intérieur en prenant toutes sortes de détours», explique Suzanne Myre, auteure de plusieurs recueils de nouvelles et dont le premier roman, Dans sa bulle, est paru il y a déjà quatre ans.

Laurence, qui travaille dans la bibliothèque médicale d'un hôpital, est en couple avec Jean-Marc, entrepreneur en construction à l'horaire bien chargé. Toujours en train de grappiller un peu de temps à son homme, insatisfaite sur tous les plans, Laurence s'accroche à son couple manifestement mal assorti.

«Mais combien de personnes sont dans des relations pas assorties par peur d'être seuls?, demande Suzanne Myre. C'est une histoire assez ordinaire, sauf que ce gars est un bon gars et c'est ça le problème. Ce n'est pas de sa faute à lui, c'est l'erreur qu'on fait parfois dans une relation, demander à l'autre de combler tous nos besoins.»

C'est ainsi qu'on en arrive à «tolérer l'intolérable», croit Suzanne Myre, qui estime qu'on en demande souvent trop à une relation. «Ce n'est pas à l'autre de nous rendre heureux, c'est à nous-même. Les femmes sur les sites de rencontres, par exemple, ont trop d'exigences. Tu peux juste être exigeant envers toi-même, pis encore là... Une relation est une aventure dans laquelle les gens s'embarquent aveuglément, en pensant que ça va être la recette du bonheur et la solution à leur solitude existentielle profonde. Mais ce n'est pas vrai.»

Atypique

Parce qu'ils s'aiment même s'ils ne sont pas faits l'un pour l'autre, Laurence et Jean-Marc, en pleine crise, vont quand même se donner une chance en partant en vacances dans un tout-inclus au Mexique. Où tout ira de mal en pis, alors que Laurence s'enfonce toujours un peu plus dans son mal-être. Si l'auteure lui donne la possibilité d'une rédemption... la fin est fort pessimiste.

Suzanne Myre rigole, avoue que cette fin l'étonne elle-même... et qu'elle l'aime ainsi parce que Laurence a fini par trouver du bonheur. «C'est une fin inusitée, mais je l'adore. J'aime l'idée que je peux décevoir les lecteurs, leur faire verser une larme, les désarçonner... J'aime les fins ouvertes. Celle-ci est fermée, mais elle va garder l'esprit des lecteurs ouvert.»

Suzanne Myre aime bien aller où on ne l'attend pas. Dans B.E.C., d'ailleurs, avec son héroïne atypique et un récit drôle aux teintes graves, elle vire joyeusement à l'envers les codes de la chick lit. Et ne lui dites surtout pas que ses romans sont légers. «C'est presque insultant, comme si c'était juste des histoires d'amour superficielles. Mon ton et ma façon de formuler les phrases sont légers, oui. Je fais rire, mais en même temps je parle du drame d'une personne qui n'est pas bien dans sa peau, qui est en mode survie tout le temps.»

Personnel

En entrevue la semaine dernière, Suzanne Myre était un peu mal à l'aise de parler de ce livre qui est probablement celui qui lui ressemble le plus. Elle avoue s'être posé beaucoup de questions avant notre rencontre, sur ce qu'elle était prête à dire ou non. «J'ai choisi de dire que je suis cette femme-là. J'ai utilisé un déguisement pour exprimer des choses importantes que je pense, que je ressens, que j'ai vécues... dans le plus grand respect des parties concernées!»

Son ex, l'entrepreneur en construction du titre, lui a donné son accord, même s'il retrouvera dans le livre «des situations, des dialogues». Mais c'est surtout Suzanne Myre elle-même qui se met à nu. Ce que pense Laurence, c'est ce que pense sa créatrice, par exemple sur le culte de la beauté et de la jeunesse, elle qui préfère «les physionomies atypiques» à la beauté physique, ou sur sa peur du vieillissement et de la ménopause. «Il faut le dire, ce n'est pas drôle, on capote. J'ai voulu parler de cette inquiétude des femmes qui ont peur de perdre l'énergie de la jeunesse, et de ces hommes qui, après les avoir bien usées, changent pour une plus jeune.»

Quand on commence à lui poser des questions sur les similitudes entre elle et Laurence, elle s'amuse. «Chaque porte que tu vas ouvrir, je vais être derrière!» Elle travaille dans un hôpital comme son héroïne, est une joueuse de tours comme elle - «Tous ceux qui sont dans le livre, je les ai faits!» -, et comme Laurence, elle a souffert de cleptomanie, une autre manière de combler un vide et d'avoir l'impression de contrôler sa vie.

«Laurence est descendue vraiment bas, elle a dû aller jusque dans l'abîme pour ressurgir. Moi j'ai arrêté bien avant. Heureusement que je me suis fait pincer jeune! Mais encore maintenant, quand je rentre dans un magasin, je dois me retenir. Un peu comme un ancien drogué ou un alcoolique.»

Le sujet est «embarrassant», admet Suzanne Myre. «Mais en même temps, ça ne me dérange pas de dire que j'ai des tics de cleptomane. J'aime penser qu'on peut s'améliorer dans la vie, qu'on peut changer des choses en soi. Et les choses dont je parle, je les ai réglées.» Par exemple, son regard sur le monde a changé avec les années. S'il est encore acéré, parfois dur et souvent baveux, il s'est adouci. Comme Laurence encore une fois, qui se transforme à mesure que le récit avance, Suzanne Myre laisse peu à peu tomber ses préjugés.

«Peut-être que c'est à force de côtoyer toutes sortes de monde à l'hôpital, mais j'ai développé plus de tolérance et de compassion. On voit toute la richesse humaine quand on arrête la machine à penser, qu'on arrive à sortir de son nombril et qu'on regarde les gens sans jugement. C'est fantastique ce qu'on découvre quand on entre dans le monde de l'autre. Et c'est comme ça qu'on apprend à se connaître.»

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B.E.C. Blonde d'entrepreneur en construction. Suzanne Myre. Marchand de feuilles, 335 pages.