Huit ans séparent La lune dans un HLM, son précédent roman, de La vie sur Mars, son tout nouveau qui sera en librairie mercredi. Entre-temps, Marie-Sissi Labrèche a fait un film, Borderline, publié une série jeunesse, Psy malgré moi, et réuni ses nouvelles éparses dans un recueil, Amour et autres violences.

Mais ce qui explique surtout la longue absence de la romancière, c'est bien sûr Charlie, 4 ans. «Ça tient occupé, un bébé, hein! Surtout que ça fait quatre ans que je le garde collé sur moi.»

Marie-Sissi Labrèche fait tout intensément, on le sait depuis ses premiers romans autobiographiques, Borderline et La brèche. La maternité n'y fait pas exception: l'auteure de 44 ans a plongé tête baissée dans cette expérience et ne cesse d'être fascinée par cette «belle petite tête rousse» qui prend maintenant toute la place.

La vie sur Mars est ainsi né tout naturellement, comme des lettres à son fils qu'il lirait une fois arrivé à l'âge adulte. C'était beau, c'était doux, mais son côté rockeuse a vite pris le dessus, dit Marie-Sissi Labrèche. «Il fallait que ce soit plus trash, que ça explose un peu.»

Le livre est alors devenu une sorte de roman d'anticipation: nous sommes en 2035 et la mère de Neil, Fédora, vient de mourir. Le jeune décrocheur «accro aux anxios» quitte Montréal pour Raon l'Étape, petite ville de Lorraine où sa mère écrivaine vivait quasi cloîtrée, et se plonge dans le manuscrit qu'elle a laissé. Il y découvre l'histoire chaotique de ses parents, celle de sa naissance, et apprend la vérité sur son père qu'il croit depuis son enfance parti en mission sur Mars...

Comme d'habitude, il y a beaucoup d'éléments de la vie de Marie-Sissi Labrèche dans ce livre. Son mari héritera en effet d'une maison à Raon l'Étape, son accouchement a bel et bien duré cinq jours: les exemples pleuvent. «Mais tout est exagéré, ajoute-t-elle. C'est vrai que j'ai joué avec mon enfant, mon mari, mais c'est poussé au max tout le temps!»

L'auteure aime depuis toujours cet aller-retour entre la réalité et la fiction. «C'est du jeu, tout le temps. Il ne faut pas prendre trop au sérieux ces histoires d'autofiction. Laissez-moi donc avoir du fun!», lance-t-elle entre deux éclats de rire, fière surtout d'avoir écrit un livre amusant comme elle sait l'être dans la vie. «Il est drôle mon livre, hein? demande-t-elle d'ailleurs à brûle-pourpoint pendant l'entrevue. Des bouts, j'étais vraiment contente de moi!»

Héritage

La vie sur Mars n'est pas le livre qui lui ressemble le plus - «C'est Borderline, pour la douleur que je ressentais à l'époque» -, mais c'est celui dont l'écriture lui a fait le moins mal. «Avant, j'étais dans le tragique, je m'ouvrais les veines et je montrais tout à tout le monde sans me protéger. Disons que c'est un livre apaisé. La déprime prend le bord quand on écoute Mickey Mouse tout la journée!»

Ceux qui la suivent retrouveront son rythme, sa voix, son plaisir à jouer avec les mots. Mais ils seront surpris par le petit côté science-fiction - «Ce n'est pas mon département! Mais ce sont plus des clins d'oeil» - et l'absence de sexe. «Je ne pouvais juste pas! J'avais comme une pudeur, même si je me disais tout le temps que Neil n'est pas Charlie, qu'on était dans la fiction. Je ne veux pas imaginer mon fils junkie aux anxiolytiques!»

Après avoir exploré à fond la filiation mère-fille, Marie-Sissi Labrèche s'est intéressée à la notion d'héritage. «Qu'est-ce qu'on laisse à nos enfants? Il y a nécessairement des choses qui nous échappent. Cette mère, elle a voulu protéger son fils, mais elle lui transmet quand même la cochonnerie parce que sa culpabilité est trop forte. Et lui ne comprend pas pourquoi il est comme ça...»

L'héritage est psychologique, mais aussi très concret: la maison de Raon l'Étape est remplie de meubles, de bijoux, de vaisselle dont la présence pèse sur Neil sans qu'il s'en rende compte. Le jeune homme finira par se défaire de ce poids. «Un objet doit être à notre service, le contraire, je ne catche pas.»

Forteresse

Depuis ses débuts, Marie-Sissi Labrèche dépeint des univers très féminins. C'est encore le cas ici, puisque Fédora reste le personnage central de son livre. Mais cette mère manipulatrice et surprotectrice représente tout ce qu'elle ne veut pas être: la créer lui permettra peut-être de ne pas devenir comme elle, espère-t-elle.

«Je dis souvent qu'après chaque livre, je change. Ça m'arrive de donner des conférences, et quand je parle de l'époque de Borderline, c'est de manière complètement détachée. C'est comme si je parlais d'une autre fille. Je n'aime pas m'accrocher aux affaires.»

Elle n'aime pas non plus beaucoup parler de ses livres, glissera-t-elle aussi au cours de notre entretien. «Ça me gêne!», dit celle qui a un peu plus confiance en elle qu'avant. «Mais je ne suis pas à toute épreuve...» Et elle a encore «peur de tout», alors la journaliste et scénariste - elle travaille en ce moment sur deux projets de cinéma - doit continuer à se protéger, entourée de sa garde rapprochée. «Une forteresse», précise-t-elle.

Si elle a quitté la maison Boréal pour Leméac, par exemple, ce n'est pas pour des raisons éditoriales, mais simplement pour suivre son éditrice, Hélène Girard, qui travaille avec elle depuis ses débuts. «Elle me berce et lit tout de moi en premier. Parce que je me trouve pourrie, je me remets toujours en question. Alors si quelqu'un me fait une critique, je vais tout jeter!»

Ainsi, Marie-Sissi Labrèche préfère rester dans sa bulle et ne pas trop penser au fait que les lecteurs «attendent» son nouveau livre. «J'essaie de garder une position humble. En plus, en littérature, c'est un milieu tellement petit! Mais il ne faut pas y penser trop, sinon je me dirais: «Pourquoi écrire?» Et en même temps, je ne sais rien faire d'autre. Je sais que les livres de cuisine sont à la mode, mais je ne suis pas très bonne...»

Extrait La vie sur Mars

Ensuite, on m'a sortie de la salle d'opération et on t'a mis dans mes bras. Je t'ai regardé, un peu gênée. On faisait quand même connaissance. Mais toi, tu n'en avais rien à branler du small talk. Tu pensais déjà à tes besoins. Tu t'es mis à me téter un sein, tu avais super faim, comme si je ne t'avais pas assez nourri, mon gros bébé de neuf livres.

Et voilà, à partir de là, tu faisais partie de notre vie pour de bon.

Je suis sortie de l'hôpital avec toi, mon beau lutin magnifique, dans mes bras. En arrivant au loft, ton père a sauté sur le téléphone pour appeler son géniteur. Trois jours plus tard, il raccourcissait son congé parental et retournait au travail. Je ne m'en suis presque pas aperçue.

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La vie sur Mars. Marie-Sissi Labrèche. Leméac, 164 pages. En librairie mercredi.