Les nombreux fans du Français Grégoire Delacourt (La liste de mes envies) peuvent se plonger dans On ne voyait que le bonheur, son quatrième roman en quatre ans. Un roman dont nous ne révélerons rien de l'histoire, sinon pour dire qu'elle oscille entre la nuit la plus noire et le jour le plus lumineux, qu'elle rappelle de nombreux faits divers actuels et qu'elle débute avec le monologue d'un assureur qui a perdu toute assurance. Entrevue avec un publicitaire sensible devenu écrivain populaire.

Il y a toujours quelque chose de tragique dans vos romans, parfois dès les premiers mots. Pourquoi?

Je suis un «jeune vieil écrivain»: j'ai commencé à écrire à 50 ans et je viens d'en avoir 54 (le 19 août dernier). Alors, chaque livre m'a fait avancer extrêmement vite. Ainsi que les commentaires des lecteurs. Les gens étaient touchés par mon histoire, par le fait que j'ai écrit tard des livres qui les touchent. Il y avait quelque chose qui revenait toujours dans ces commentaires: c'est cette émotion qu'ils trouvaient dans L'écrivain de la famille, mon premier livre, qu'ils découvraient grâce au succès de La liste de mes envies... Alors, je me suis dit que j'avais envie de réaborder ces thèmes du premier livre parce que je ne suis pas guéri de mon enfance.

Expliquez-moi alors le titre, On ne voyait que le bonheur?

J'aime bien ce titre parce qu'il y a une menace dedans: on sait que ce n'est pas vrai, qu'il y a un mensonge, que ça va péter! Dans les familles, sur les photos, tout le monde sourit. Ou alors on jette la photo sur laquelle on pleure, sur laquelle on n'est pas «bien». On ne veut laisser de nous que des images de bonheur. Ne pas garder la mémoire de ce qui est moche. Or, c'est ce qui est moche qui nous fait avancer. Qui fait qu'on peut le réparer, nous améliorer...

Dans vos livres, souvent, le père du personnage principal est mort ou absent, et ce quatrième roman ne fait pas exception. Pourquoi?

Ce livre s'est déclenché le jour où un médecin m'a annoncé que mon père allait mourir... Et je me suis dit que j'avais envie de creuser là-dessus, parce que j'étais en confiance avec les lecteurs... Je me suis dit que je pouvais aller vers quelque chose de plus intime, de plus profond, de plus sombre. L'écriture de ce livre a accompagné ce deuil fait du vivant de quelqu'un, qui s'appelait mon père, qui était en train de mourir «en vrai». Littéralement. Chaque fois que je le voyais, il était en train de mourir, vraiment... Je me suis alors demandé: qu'est-ce qui s'est passé entre nous, qu'est-ce qu'on a écrit entre nous? Ça valait quoi? Je perds quoi? Est-ce qu'on est encore un fils quand on n'a plus de parents (ma mère est morte pendant que j'écrivais L'écrivain de la famille)? Alors, comme romancier, je me suis amusé à faire un livre sur un assureur qui calcule le prix des choses. Est-ce qu'on peut quantifier le prix des choses et des gens qu'on perd? Est-ce qu'on peut refuser un héritage, par exemple l'amour toxique? Le jour où le livre a été fini... Ça, c'est absolument vrai, ce que je vous dis... Le jour où le livre a été fini, mon père est mort. Ça a duré 18 mois. Je me suis dit après que j'aurais dû écrire plus longtemps...

Dans tous vos romans, vous évoquez un livre marquant ou un auteur phare, et cette fois, c'est un conte, Hansel et Gretel!

C'est le livre de l'enfance perdue. Un conte absolument terrifiant, on l'oublie. Qui vous raconte, alors que vous avez 5, 6 ans, que les gens qui vous aiment peuvent vouloir vous tuer, vous abandonner dans la forêt, que vous y serez peut-être mangé par une sorcière... Mes personnages d'Antoine et Anna ont été abandonnés par leur maman et par la lâcheté de leur papa. La forêt, c'est la vie aujourd'hui; et ils vont être bouffés par la vie: l'une dans son langage et l'autre dans son ventre, où s'installe la colère. Oui, les gens qui vous aiment peuvent vous tuer... C'est horrible. Mais allez expliquer à votre enfant: ce soir, je ne te raconte pas d'histoire parce que mon patron m'a dit que j'étais nul, parce qu'un mec au bureau a piqué mon portefeuille, parce qu'une fille m'a traité de con à la cantine... On ne peut pas dire ça à nos enfants, on ne peut pas leur raconter nos vies. Alors, en essayant de les protéger, on étouffe et on ment.

Il n'y a pas de solution?

C'est dur, être un chic type. Le monde n'aime pas trop les chic types. Les voyous gagnent souvent, hein? Les plombiers qui vous gonflent leurs factures, les taxis qui vous baladent pour faire monter l'addition, les gens qui passent avant vous dans la file d'attente... Vous gueulez, mais bon, ils sont passés avant vous quand même. Au fond, plein de fois, on se dit: je devrais être un salaud, ce serait plus simple! Mais on ne peut pas. Parce qu'on a l'éducation, la politesse, la notion de civilisation, on nous a appris à tendre l'autre joue... Et heureusement qu'il y a ça, finalement. Il faut valoriser la gentillesse, les gens bienveillants, il faut se redonner ce pouvoir immense de réparer, le dire à nos enfants. Tu peux changer le monde. Ou plutôt: tu peux changer ton monde.

Vous semez ici et là de très beaux mots rares dans votre roman: hyphéma, paréidolie, aquifère, bisquaillin... Pourquoi?

J'ai le souci d'émerveiller un petit peu avec les mots! Alors, quand je peux prendre un mot plus agréable ou surprenant qu'un autre, je le préfère. C'est comme un petit cadeau pour les gens: voilà un mot joli que j'ai découvert, il est bien, hein?

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Grégoire Delacourt. On ne voyait que le bonheur. JC Lattès, 366 pages.