De Montréal à Key West, en passant par Alger, Las Vegas, Florence et New York, Catherine Mavrikakis nous trimbale dans le temps et l'espace de l'enfance, de l'exil et du deuil. La ballade d'Ali Baba, son roman peut-être le plus lumineux, affirme que le monde est une vaste chasse au trésor, pour peu qu'on ne reste pas chez soi.

La ballade d'Ali Baba est une surprise à tous les niveaux, en premier pour Catherine Mavrikakis, qui ne l'avait pas vu venir. Il est né dans la foulée de l'essai Ce que dit l'écorce, écrit à quatre mains avec Nicolas Lévesque, avec qui elle a partagé ses réflexions sur la mort du père. Mais ce père n'avait pas dit son dernier mot, du moins dans son imaginaire.

«L'essai était très près du vécu, explique-t-elle. J'ai eu envie de faire une fiction de tout ça, quelque chose de plus joyeux, de beaucoup plus rocambolesque, de léger. J'avais envie de retrouver la farce dans la tragédie.»

Le maître mot de ce roman: dispersion. Vassili, le père immigrant, bourlingueur, séducteur, menteur, éclate en fictions, et c'est une vie sans racines que la narratrice veut raconter, alors qu'elle découvre à quel point elle lui ressemble. En père absent typique, c'est aussi un revenant, au propre comme au figuré, et il a ses exigences: que sa fille écrivaine lui donne une sépulture à l'image de son existence.

«La chose qui l'irritait le plus de son père est sa mythomanie. Et puis, finalement, elle a hérité de lui malgré tout. C'est terrible pour elle de constater cette filiation. Elle est pâlotte par rapport au père, je voulais qu'elle soit en retrait, mais malgré tout, elle reste une mythomane. Dans le fond, elle a hérité de son mensonge. Mais le mensonge est une façon de vivre, de continuer. C'est une survie.»

Catherine Mavrikakis avait besoin du mensonge, elle aussi. La relation qu'elle avait avec son père, mort en 2012, n'était pas de tout repos. «La mort de mon père a changé quelque chose dans ma vie, c'est sûr. J'ai toujours pensé à la mort, j'ai connu beaucoup de gens qui sont morts. Mon père a fait beaucoup de tentatives de suicide, je ne croyais plus à sa mort - c'est très enfantin, au fond. Sa mort m'a rappelée à l'ordre de la mort, alors que je pensais que tout chez lui pouvait être une comédie. Dans la réalité, mon père était très proche de la mort, mais plutôt en riant. J'ai hérité du côté moins drôle. Et justement, j'avais l'impression que j'avais toujours été dans le côté sombre, que j'avais oublié cet héritage, que ça fait partie de l'absurde de la vie, qu'on peut en rigoler.»

Sans vouloir faire de la psychologie à deux sous en rappelant le complexe d'OEdipe, on se demande tout de même pourquoi le père fait tant rêver la fille, pourquoi elle le défend contre la mère, malgré ses défauts évidents. «Je ne sais pas, répond Catherine Mavrikakis. Parce que ce n'était pas du tout ma place dans ma famille. C'est vraiment un conte que j'ai fait. J'ai réalisé un souhait qui n'était pas vrai dans la réalité. Car j'ai toujours pris du côté de ma mère. Je ne sais pas pourquoi le père fait rêver la fille, j'ai l'impression de m'être défendue contre ça toute ma vie!»

Mais voilà, lorsque le père disparaît, on n'a plus à l'espérer ni à l'attendre. Il peut malgré tout revenir par les détours les plus inusités, même de l'au-delà... Surtout lorsqu'on est écrivain. «Je voulais l'attirer vers la lumière, celle qu'il avait et qu'il est capable d'avoir léguée aussi. J'avais besoin d'un mensonge pour rendre les choses différentes, pour leur donner un éclairage qu'elles n'avaient pas tout à fait à ce moment-là.»

Vivent les déracinés

Il y a un fabuleux road trip temporel et sur plusieurs continents dans ce roman, qui s'ouvre sur le parcours glouton du père, capable de faire Montréal - Key West en deux jours avec ses enfants, ivres de fast-food et de kitsch américains. C'est la route du bonheur que refera la fille. Parce qu'en fait, le bonheur, c'est la route, et le sésame; La ballade d'Ali Baba est un hommage aux déracinés comme Vassili, un apatride qui n'a jamais vécu l'exil comme un drame et qui n'a aucun besoin de revanche sur son destin.

«C'est une dispersion nécessaire, qui fait partie d'un "être au monde», résume Catherine Mavrikakis. Nous sommes jetés sur la Terre, il ne faut jamais essayer de trouver un port d'attache. Je sais que ce n'est pas un discours qu'on tient beaucoup de nos jours [...]mais ce n'était pas du tout dans l'imaginaire de ce personnage. Par contre, pour réussir à faire cela, il y a tout un mythe de la tribu, de la famille. Malgré tout, les liens ne se coupent pas.»

Il n'y a que ceux qui partent qui peuvent goûter à cette impression intense de tous les possibles. Et ceux qui écrivent...