Premier prix littéraire de la rentrée québécoise 2014, le prix Robert-Cliche du premier roman est remis cette année à Martin Clavet pour Ma belle blessure. Un livre dur, dense, parfois terrifiant, sur le thème de l'intimidation... et qui tire une partie de son inspiration de La femme rompue, de Simone de Beauvoir!

Précisons-le d'emblée: Ma belle blessure, qui est le journal d'un enfant de 10 ans victime d'intimidation, campé dans un univers surréaliste (le Québec dans 20, 30 ans?), n'est ni une autofiction ni autobiographique. «Il y a aujourd'hui plein de vrais enfants qui racontent leurs vraies histoires, pas besoin de le faire à leur place», explique Martin Clavet.

Et ce n'est pas non plus un outil pédagogique, avec solutions à la clé! C'est un roman impitoyable, écrit dans une langue chatoyante truffée de néologismes: «On s'est tous fait dire quand on était petit: «T'es bien, toi, t'es à l'école, tu t'amuses, profites-en!», alors que c'est à l'école primaire que j'ai vu certains des comportements les plus cruels de ma vie», explique posément le jeune père d'un petit garçon de «bientôt 17 mois» et dont la femme, il le reconnaît, n'a pas été capable de finir la lecture de ce roman, parce qu'il fait mal.

«On a tous connu une fille un peu moche qui se faisait mettre de la gomme dans les cheveux, reprend-il. Ou vu un prof qui allait fumer dans le stationnement pendant qu'un élève se faisait battre et traiter de tapette. C'est cette réflexion et ces souvenirs qui m'ont incité à présenter cette autre vision de l'enfance, de l'anxiété qui y est liée.»

Martin Clavet n'a rien d'un agressif: ce jeune homme de 35 ans parle d'un ton mesuré, un peu gêné aux entournures par l'attention qu'on lui porte, soucieux qu'on saisisse qu'il n'a voulu écrire rien de moral ni de moralisateur. Il a plutôt voulu faire un travail d'écriture sur un thème dérangeant. Pour reprendre les mots de Jean Fugère, président du jury Robert-Cliche: «Martin Clavet, mû par un puissant ressort, transforme toute cette boue en or, met des paillettes à sa blessure et triomphe sur papier comme Almodóvar dans ses films.»

Le jugement du meneur

«Je ne viens pas du monde littéraire. J'ai été imprimeur, graphiste, j'étudie en traduction. C'est par ma femme, qui est, elle, une vraie littéraire, que j'ai été initié à certains auteurs. Dont Simone de Beauvoir et son roman La femme rompue: c'est le journal d'une femme qui se fait tromper et dont on va observer la déchéance lente, l'isolement progressif, qui ne voit pas de solutions à sa situation.»

C'est par cette forme du journal et une certaine évolution implacable que Ma belle blessure emprunte à La femme rompue: dans un univers surréaliste, futuriste, le jeune Rastaban, 10 ans, écrit son journal alors qu'il vient d'arriver dans une nouvelle «académie». Parce qu'il est jugé «féminé», Rastaban devient rapidement la victime de sévices imposés par le jeune meneur de l'école. Son journal va peu à peu devenir son seul «frënz», où il pourra évoquer l'incompréhension des phallusiens (hommes) et des gynées (femmes) adultes qui l'entourent, où on babelite (bavarde) beaucoup tout en respectant la loi du silence, où les magistères (enseignants) ferment les yeux devant les comportements d'intimidation. Et où la violence-spectacle est partout: «Comme aujourd'hui, fait remarquer Clavet, où on regarde avec ses enfants des matchs sportifs violents à la télévision.»

Ce n'est pas Hunger Games - ce n'est surtout pas un roman pour ados! -, mais il y a bel et bien quelque chose de la dystopie dans Ma belle blessure.

«C'est intéressant que vous évoquiez Hunger Games, car je trouve fascinant que cette série sur des enfants qui s'entretuent dans une île n'ait pas dérangé plus que cela. Où on trouve acceptables les meurtres parce que l'héroïne ne tue jamais pour gagner. Tout ça est très esthétisé, en plus.»

S'il y a quelque chose d'esthétisé dans Ma belle blessure, c'est dans la description d'un univers de science-fiction où ce ne sont pas les robots qui comptent, mais les coiffures, très compliquées et joyeusement bigarrées, les vêtements, bref, le look: «Je voulais établir un contraste marqué entre un univers éclaté, coloré, dans lequel se déroule une histoire très réelle. Bon, il se peut que cette obsession des cheveux tienne aussi au fait que j'ai été taquiné quand j'étais petit parce que j'étais toujours "couetté", j'avais des rosettes, reconnaît-il en souriant.

«Mais en créant un vocabulaire, en faisant un travail sur la langue, en écrivant comme le ferait un enfant de 10 ans, je voulais surtout établir autrement un parallèle entre le vrai et le faux, l'éclaté et le banal.» Sans censure. Ni morale hollywoodienne. Juste une blessure. Belle? Surtout profonde.

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Ma belle blessure, Martin Clavet, VLB éditeur, 126 pages.