Depuis 2008, la saga historique populaire Fanette permet à des milliers de lecteurs d'en savoir plus sur la vie quotidienne, privée et publique, qui avait cours dans la seconde moitié du XIXe siècle au Québec: l'immigration irlandaise massive, les grands procès de l'époque, le mouvement des Fenians, les conditions du journalisme, la vie citadine, etc., sont intégrés à la vie amoureuse et mouvementée d'une héroïne forte, Fanette, le tout écrit dans un français élégant. Alors que vient de sortir l'ultime et septième tome de la saga, nous avons interviewé son auteure, la dramaturge, scénariste et écrivain Suzanne Aubry.

Aviez-vous, dès le départ, l'idée de faire une saga de sept tomes, soit 3616 pages?

Jamais en 100 ans! Lorsque j'ai proposé une saga historique à mon éditeur, Libre Expression, ma directrice littéraire, Monique H. Messier, m'a suggéré 6 tomes. Une fois le contrat signé, je me suis réveillée en panique, en me demandant comment j'allais faire pour écrire 6 romans de 500 pages chacun, à raison d'une publication par année! Mais au fur et à mesure des recherches et de l'écriture, les intrigues et les personnages se sont déployés au point où j'ai dû ajouter un septième tome...

Pourquoi choisir la période historique s'étendant de 1847 à 1868?

Déjà, adolescente, j'étais accro aux romans de Dumas, Tolstoï, Dickens, puis de Zola et Balzac. La deuxième moitié du XIXe siècle est riche en contradictions: il y a eu d'importantes découvertes scientifiques et technologiques (le vaccin contre la variole, les bateaux à vapeur, le train...), les débuts de l'industrialisation, mais aussi le code Napoléon qui a retiré aux femmes le peu de droits qu'elles possédaient et le travail des enfants. C'est en naviguant sur l'internet que je suis tombée sur la famine de 1845 en Irlande et l'exil de dizaines de milliers d'Irlandais ici. J'avais trouvé mon sujet!

Meniez-vous des recherches historiques avant l'écriture de chaque tome?

J'ai effectué plusieurs mois de recherches avant même d'écrire le premier mot de ma saga. Mais comme j'abordais des sujets historiques différents dans chaque tome, il me fallait toujours en faire de nouvelles. Depuis plus de 7 ans, j'écris quatre à six heures par jour, parfois davantage, sans compter les chroniques sur mon blogue et les réponses aux courriels de mes lectrices et lecteurs. Je me fais un devoir de répondre à chacun d'entre eux. Il faut une discipline et une santé de fer pour être écrivain!

Vous vous inspirez de faits authentiques dans chacun des tomes, par exemple, dans le tome 7, la lutte de monseigneur Bourget contre l'Institut de Montréal. Comment décidez-vous de l'importance qu'ils auront, comparativement aux moments plus romanesques?

Je suis d'abord et avant tout une romancière. J'utilise les faits historiques comme un levier pour raconter ce qui me touche, tout en évitant les anachronismes, bien sûr... Pour moi, le passé est vivant. D'où l'idée d'une petite Irlandaise de 7 ans, Fionnulá (qui s'appellera Fanette dans son pays d'accueil) que les lecteurs verront grandir, devenir une jeune femme, une jeune mariée et, plus tard, une journaliste, à une époque où les femmes n'avaient pas le droit d'exercer une profession. On a tendance à croire que les gens à l'époque vivaient aveuglément sous le giron de l'Église. Or, l'Institut canadien de Montréal, fondé par de jeunes intellectuels en 1844, préconisait l'école publique neutre et possédait une bibliothèque extraordinaire. Monseigneur Bourget en a excommunié les membres en 1859.

L'immigration irlandaise massive au Bas-Canada, l'affaire Guibord ou le village rural huron comme celui de Jeune Lorette sont des sujets moins traités que la Rébellion des Patriotes de 1837-1838, par exemple. Est-ce pour cela qu'ils vous ont inspirée?

Il y a eu beaucoup de romans historiques sur les Patriotes. Je souhaitais explorer des évènements et des lieux moins connus et leur donner un éclairage à la fois réaliste et imaginaire. Ainsi, j'ai inventé un personnage de lieutenant dans la marine marchande, Noël Picard, qui était secondaire dans ma saga, au départ. Mais j'en ai fait un Huron originaire du village de la Jeune Lorette, ce qui m'a permis de déployer une intrigue importante. Même chose pour les Fenians, ces révolutionnaires irlandais qui souhaitaient libérer l'Irlande du joug des Britanniques. Peu de gens savent qu'ils ont transporté leur combat au Canada, y compris dans les Cantons-de-l'Est!

Était-ce fondamental pour vous de créer des personnages féminins très forts?

Certains ont parfois critiqué le fait que j'avais créé des personnages féminins trop en avance sur leur temps. Pourtant, je suis convaincue qu'il y avait des femmes fortes et indépendantes au XIXe siècle, et même avant. On n'a qu'à prendre l'exemple de Jeanne Mance! Sans aucune loi pour les protéger, les femmes travaillaient, se dévouaient pour les pauvres, écrivaient... Je me suis amusée à modeler mon personnage d'écrivain, Madeleine Portelance, sur George Sand: cette femme de lettres française était exceptionnelle à bien des égards. Très moderne! Sa correspondance m'a beaucoup inspirée.

Qu'avez-vous ressenti en terminant la saga?

Un sentiment de grande plénitude et, en même temps, de profonde tristesse. Mais je prépare un projet d'adaptation de Fanette pour la télé ainsi qu'une traduction en anglais. Et comme je suis incapable de vivre sans écrire, j'ai un nouveau roman en marche, qui sera complètement différent de Fanette, une histoire qui se passe ici et maintenant!

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Fanette, tome 7: Honneur et disgrâce, Suzanne Aubry, Libre Expression, 552 pages.