On n'a plus la noblesse qu'on avait. Du moins, pas dans la très respectable Grande-Bretagne depuis que les années 60 ont fait sauter les conventions jusque-là aussi inévitables que contraignantes.

L'auteur de la série télévisuelle britannique Downton Abbey, Julian Fellowes, dévoile à travers un roman les bouleversements qui ont mené à des mutations profondes dans la haute société de la vieille Angleterre. Sous le titre Passé imparfait, l'histoire raconte le parcours de jeunes privilégiés participant aux événements sociaux réservés à l'élite en 1968.

Le but de ces bals et autres tea parties était de présenter à la société les «débutantes», ces jeunes héritières de titres aristocratiques, afin qu'elles puissent trouver un mari - idéalement riche - qui leur permettrait de poursuivre les traditions de la famille. L'histoire n'est pas fixée dans la même époque que Downton Abbey, mais elle a des airs de famille avec la série.

La trame romanesque est presque une excuse pour exposer une Angleterre en mutation. Les rites et rôles de chacun sont bouleversés. L'auteur est à la fois impitoyable et tendre envers ces nobles qui croient avoir le monde à leurs pieds. Il en expose les travers autant qu'il regrette aussi certaines obligations, telles les bonnes manières qui se sont envolées en même temps que les vapeurs psychédéliques qui envahissaient les salons les plus guindés.

Passé imparfait expose une société qui se savait dans une époque charnière, mais qui ignorait de quel côté elle basculerait.

Le roman de 650 pages vient d'être traduit en français. Nous avons joint Julian Fellowes à son manoir de campagne dans le Dorset. Entre les joyeux aboiements de ses chiens Meg et Humbug et quelques échanges avec sa femme Emma qui se demandait quelle teinte choisir pour la table gigantesque (10 m!) fabriquée à partir d'un chêne tombé lors d'une tempête, nous avons bavardé de la vieille Angleterre, du président Obama, du coût de la vie et de son père né dans une étable... en Alberta!

Q: Votre narrateur n'est jamais nommé, mais il vous ressemble: vous partagez le même physique, votre père était diplomate comme celui du narrateur, vous avez participé aux mêmes événements sociaux. Pourquoi avoir choisi cette voie?

R: J'ai choisi de ne pas donner de nom au narrateur pour permettre au lecteur de se laisser emporter par son imaginaire. Le narrateur agit comme un guide et conduit le lecteur à travers un monde qu'il connaît très bien. Cela permet de se sentir instruit sans être trop influencé par le personnage.

Q: Les raisons qui ont mené au déclin de la noblesse durant les années 60 sont nombreuses: impôts étouffants, faillites, perte de prestige, naissance d'une élite fondée sur les nouvelles fortunes. Croyez-vous que l'Angleterre se porte mieux depuis qu'elle a délaissé sa société élitiste?

R: D'abord, je ne crois pas que l'aristocratie soit en déclin en Angleterre. C'est vrai qu'il y a eu des périodes très difficiles après les deux guerres. Des familles ont tout perdu et ont dû se retirer des activités qui leur étaient réservées. Par contre, les plus futés et les jeunes générations qui ont su profiter de leur titre en se lançant en affaires, par exemple, s'en sont très bien tirés. L'Angleterre s'en trouve enrichie.



Q: On parle donc d'une nouvelle société?

R: En quelque sorte, oui. Le fossé entre la haute bourgeoisie et les gens ordinaires s'est rétréci et j'en suis très heureux. Je ne suis pas socialiste, mais j'aimerais que tous les enfants, peu importe leur milieu ou leurs origines, aient les mêmes chances. Nous sommes obsédés par cette notion que tous les gens devraient être égaux. C'est impossible, évidemment. Mais je souhaiterais que chacun puisse vivre une vie qui a de la valeur, du sens.

Quand je rencontre des écoliers, je leur répète qu'ils peuvent accéder au statut des gens qu'ils admirent. Ce n'était pas possible autrefois. Ça change lentement mais sûrement. En ce sens, nous nous rapprochons de l'Amérique, du Canada et de l'Australie. Nous sommes maintenant moins dans la hiérarchie et davantage dans la mouvance sociale entre les classes.

Q: Dans votre roman, vous semblez regretter le mode de vie des aristocrates. De quoi vous ennuyez-vous le plus?

R: Je ne m'ennuie pas des obligations ridicules, je suis bien content de voir que les femmes ont abandonné les corsets ou qu'elles peuvent être instruites autrement que dans des écoles absurdes où on ne leur apprenait que les bonnes manières! Mais je crois qu'en balançant toutes les traditions, nous en avons perdu qui étaient importantes. Les structures abolies n'ont pas été remplacées. Nous traversons une époque où on se cherche, où on n'ose pas critiquer, où tout doit être permis. Il faut maintenant trouver des valeurs rédemptrices aux tueurs en série! C'est tout aussi ridicule.

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Passé imparfait, Julian Fellowes, Sonatine, 650 pages.