Parfait pour contrer la canicule estivale, Par-dessus tout, premier roman de la poète torontoise Tanis Rideout, se déroule en partie sur l'Everest: il relate l'ultime tentative du Britannique George Mallory d'escalader cette montagne en juin 1924. Ne vous fiez ni à la couverture ni au titre un brin rébarbatifs: c'est un roman tout à la fois d'aventure et d'introspection, et très bien écrit, que nous offre Tanis Rideout.

Beau, brillant, s'équipant aussi bien de champagne que de piolets, l'alpiniste George Mallory laisse régulièrement derrière lui sa femme Ruth et ses trois enfants pour tenter l'impossible: grimper l'Everest, à 8848 m d'altitude. Le monde entier suit ses exploits avec passion. Le 8 juin 1924, en compagnie du jeune Sandy (Andrew) Irvine, il essaie encore une fois. La dernière, a-t-il promis à Ruth.

Le détail de ses expéditions et sa correspondance avec sa femme ont depuis alimenté plusieurs ouvrages. Mais dans le roman de Tanis Rideout, George et Ruth ont tous deux la parole. Et chacun un univers à conquérir. Entrevue avec une écrivaine capable autant d'«écrire» le froid et le vent, que le doute et l'aspiration.

Pourquoi faire un roman, et non un recueil de poèmes ou une nouvelle, de cette histoire authentique?

Elle m'a toujours semblé exiger un roman, d'abord en raison de son envergure, de la nature épique de la tentative de George Mallory et Sandy (Andrew) Irvine. Mais aussi parce que je voulais explorer les effets qu'ont les récits sur nos esprits. Enfin, je voulais véritablement creuser les personnages, et cela, à mon avis, se faisait mieux dans un roman.

Il y a deux «temps» dans votre roman: le temps de George se déroule sur les quelques semaines de l'expédition, alors que le temps de Ruth, sa femme qui l'attend, tient en une seule journée. Le roman alterne entre ces deux «temps». Pourquoi?

Dès le départ, j'ai voulu écrire les deux côtés de l'histoire: on présente toujours Ruth comme un personnage à l'arrière-plan de l'histoire de George, alors qu'elle m'intriguait véritablement. L'idée de passer d'un «temps» à l'autre s'est imposée dès le début. Le «temps» de George s'étalait nécessairement sur plusieurs semaines: il devait se rendre à la montagne, ne pas réussir à l'escalader, puis tenter sa chance une ultime fois. Mais l'idée de résumer le quotidien de Ruth sur une seule journée ne m'est venue qu'après quelques versions: comme l'attente n'a pas vraiment de montée dramatique, raconter plusieurs semaines d'attente était trop lourd et monotone. Cristalliser ce que Ruth devait vivre et ressentir le temps d'une journée fonctionnait parfaitement, tant pour l'écriture que la lecture.

Quelle histoire a été la plus difficile à écrire?

Je pensais que ce serait celle de George: après tout, je n'ai jamais été près de l'Everest, je n'ai jamais fait d'alpinisme en haute altitude, etc. C'est pourtant son histoire à elle qui a été la plus ardue à écrire. Ça m'a étonnée parce que, comme tout le monde, j'ai déjà attendu le retour de quelqu'un à la maison, sachant que cette personne était en train de vivre quelque chose d'excitant, non seulement à mes yeux mais à ceux des autres. Je «savais» dans une certaine mesure ce que Ruth vivait. Il m'a toutefois fallu plusieurs essais avant de trouver sa voix, ses pensées, son univers. L'Everest, franchement, c'était facile à côté de cela!



Dans le roman, vous réussissez à «exprimer» le froid, le vent et l'escalade sans que cela soit répétitif, au contraire. Comment avez-vous procédé?

Je suis absolument convaincue qu'étudier la poésie, en lire beaucoup et en écrire assez aident toute forme d'écriture. Il a fallu beaucoup de travail pour ne pas répéter que George avait froid et plutôt créer la sensation du froid chez le lecteur. En outre, comme le froid est pour moi une expérience désagréable, c'était facile de m'imaginer dans sa situation en marchant dans Toronto en hiver: la façon dont le froid parfois nous blesse, parfois nous attaque, comme s'il s'agissait d'une force avec sa propre volonté.

Sandy (Andrew) Irvine, qui accompagne George Mallory sur l'Everest, est le troisième personnage du roman. Pourquoi fallait-il que son point de vue se mêle, à part entière, à ceux de Ruth et George?

L'infortuné Sandy. Pendant l'écriture de ce roman, je me suis vraiment attachée à lui. Selon les versions du roman, son point de vue apparaissait ou non. Jusqu'à ce que je réalise que le lecteur a vraiment besoin de lui: c'est Sandy qui nous guide dans cet univers parce que c'est, pour lui comme pour nous, sa première fois. Sa première fois en Inde, sa première fois au Tibet, sa première fois sur l'Everest. Nous avons donc besoin de voir ce qui l'entoure par ses yeux, aussi neufs que les nôtres.

Maintenant que le roman est fini, il m'arrive de penser à George et Ruth, ils sont un peu comme de vieux amis qui me rendent visite. Mais Sandy. Sandy est celui qui me brise encore le coeur. Il était jeune, si jeune.

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Par-dessus tout, Tanis Rideout, VLB éditeur, 400 pages.