Quand la journaliste et auteure Katia Gagnon a lancé son premier roman, La réparation (2011), qui portait sur l'intimidation à l'école, l'actualité lui donnait hélas raison avec le suicide de la jeune Marjorie Raymond. Alors qu'elle publie son deuxième roman, Histoires d'ogres, l'histoire se répète: il y est question d'un agresseur sexuel assassin, alors que le meurtrier de la petite Joleil Campeau vient tout juste de faire la manchette...

C'est pourtant un autre meurtrier - et un autre meurtre - qui ont inspiré la journaliste de La Presse devenue romancière: «À l'occasion d'un reportage, raconte-t-elle, j'ai rencontré Lucie Vallerand [à qui Histoires d'ogres est dédié], et c'est elle qui m'a parlé de Mario Bastien, un agresseur sexuel qui avait tué [le jeune Alexandre Livernoche, en août 2000]. Elle avait connu Bastien quand il était jeune, et après son incarcération, elle est devenue son «ange gardien».»

Dans le roman, Bastien est devenu Bellevue. Et Mme Vallerand est devenue la fictive Jeannine Côté. «C'est Lucie Vallerand qui m'a demandé d'écrire sur le sujet, elle voulait qu'on connaisse tous les aspects de la vie de Bastien, reprend l'auteure. Et au départ, j'ai pensé en faire un essai...»

Le retour de Marie Dumais

Et puis, au hasard d'autres enquêtes pour La Presse, Katia Gagnon rencontre des personnes qui ont elles aussi connu Bastien. Du coup, elle décide elle-même d'en interviewer d'autres, éducateurs, criminologues, etc. «Je voulais raconter toute l'histoire, le making of de ce pédophile doté d'une stature imposante, dit-elle. Un ogre, un vrai...»

Et elle a choisi de tirer de tout cela un roman, finalement. Parce qu'elle pouvait y intégrer d'autres histoires, sur d'autres réalités, inspirées par d'autres personnes, rencontrées dans le cadre d'autres reportages: l'histoire d'une jeune femme «addict» au crack; l'histoire de prostituées et d'un travailleur de rue qui les côtoie, rue Sainte-Catherine; l'histoire de travailleuses sociales qui doivent décider de retirer ou non la garde d'enfants à des mères toxicomanes... Car il est aussi question de prostitution, d'agressions sexuelles, de négligence, de toxicomanie, de jeu, de trafic, de peur viscérale dans Histoires d'ogres. «Histoire» et «ogre» sont ici bel et bien au pluriel...

C'était aussi l'occasion pour l'auteure de faire revivre la protagoniste de son premier roman, la journaliste fictive Marie Dumais, au passé très douloureux. «Les deux questions qu'on m'a posées le plus à la publication de La réparation, dit Katia Gagnon en riant, c'était: «C'est-tu vous, la journaliste?» et «A va-tu revenir dans un autre livre?»»

Oui, Marie Dumais revient, mais non, Katia Gagnon n'a pas vécu ce que vit son personnage principal, si ce n'est la façon dont celle-ci pratique son métier. Et aime passionnément les livres, comme les aime passionnément Katia Gagnon, qui n'est pas célibataire et qui est mère de trois garçons de 9, 11 et 14 ans. «Disons que je ne voudrais pas que mes enfants lisent Histoires d'ogres à l'âge qu'ils ont, c'est vraiment plus dur que La réparation - qu'ils n'ont pas lu non plus!»



Thriller social

C'est justement la présence des livres et celle d'un libraire sensible qui allègent le propos du roman. «J'avais envie que Marie Dumais soit un peu heureuse, cette fois-ci», explique la journaliste-auteure.

Petit clin d'oeil à l'ère du déclin des journaux papier, toute la première partie du roman repose sur la lecture de petites annonces! Qu'on se rassure: il y a aussi échange de courriels dans Histoires d'ogres. En multipliant les chapitres courts, Katia Gagnon a donné un rythme haletant à son roman, qui se lit comme un thriller social.

«Ce qui est vraiment bien, dans un roman, c'est qu'il n'y a personne qui te dit que ton texte est trop long, dit-elle en souriant. N'empêche que je suis imprégnée de l'idée de faire court, comme quand j'écris des articles, j'ai donc découpé mon histoire en plusieurs tranches. Dans la vie, ce que je veux, c'est écrire, raconter des histoires.»

Dans Histoires d'ogres, c'est ce que Katia Gagnon fait: raconter une histoire. Tout en étant consciente que la «vraie vie» est souvent plus déroutante que la fiction. «Lucie Vallerand, l'ange gardien de Mario Bastien, n'est pas une «freak» de Jésus, pas non plus une déséquilibrée qui tripe sur les meurtriers. C'est simplement une personne d'une générosité pure. C'est rare, mais ça existe. Et elle n'essaie pas non plus de minimiser ce qu'a fait Bastien, qui est monstrueux. Mais elle m'a montré des photos de Mario Bastien enfant [épisode transposé dans le roman], sur un cheval à bascule, avec une petite chemise bariolée: voir un meurtrier enfant, c'est troublant...»

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Histoires d'ogres, Katia Gagnon, Boréal 248 pages. En librairie.